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volume, The Premier and the Painter. On y voit un vieil homme d’Etat réactionnaire et un peintre en bâtimens qui changent de rôle et de fonctions l’un avec l’autre. Les impressions du ministre en présence et au contact des prolétaires, celles de l’ouvrier transporté au centre de la sphère aristocratique et officielle, les modifications profondes que subissent leurs opinions lorsqu’ils voient de près les hommes et les choses dont ils ont tant parlé sans les connaître, telle est la matière première du livre, et elle donne lieu à une foule de traits ingénieux et piquans. Mais les auteurs visaient plus haut, trop haut peut-être. La fantaisie spirituelle sur laquelle leur livre est bâti est trop légère pour supporter le poids de toute cette sociologie, — d’ailleurs un peu confuse et contradictoire, — dont il est chargé. La critique qui aime ces sortes d’ouvrages, fit assez bon accueil à celui-là, mais le public fit la sourde oreille. Il est revenu de ce dédain, et plusieurs éditions successives ont replacé au niveau des autres volumes de M. Zangwill l’œuvre anonyme de sa première jeunesse.

M. Zangwill avait brûlé ses vaisseaux, rompu avec ses premiers protecteurs, dont la protection, cela va sans dire, n’était pas tout à fait désintéressée, et qui entendaient récolter des services là où ils avaient semé des bienfaits. « Je suis le seigneur ton Dieu, qui t’ai tiré de la terre d’Egypte… » M. Zangwill préférait retourner avec les Egyptiens, plutôt que de s’entendre rappeler trop souvent sa délivrance.

Les années qui suivirent furent des années d’épreuve et, — pourquoi ne pas le dire ? — des années de découragement et de tristesse, durant lesquelles le jeune auteur éditait et rédigeait un petit journal comique intitulé Ariel. Quand j’ai eu le plaisir de causer avec M. Zangwill, il m’a semblé qu’il ne gardait pas un souvenir agréable de son passage à travers le journalisme. Ne serait-ce point parce que les soucis de l’éditeur troublaient l’inspiration de l’écrivain ? Pourtant M. Zangwill possédait quelques-uns des dons les plus brillans du chroniqueur. Un de mes compatriotes qui, depuis, est devenu célèbre pour avoir écrit des sottises, mais qui, avant d’être célèbre, avait donné quelques jolies chroniques, me disait un jour : « Je n’ai jamais tant de talent que quand je ne sais pas un mot de ce que je vais dire. » C’est dans cette disposition que l’éditeur d’Ariel dut s’asseoir à sa table certain matin, — ou certain soir, — où la fantaisie lui prit de