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réconciliation des partis. Le congrès a répondu en le réélisant par un vote unanime à la présidence, sans aucune limitation de temps ou de pouvoirs. On voit que la Constitution de Tito, ainsi qu’on l’a remarqué à cette occasion, est « toute monarchique. » On peut donc dire de M. Zangwill ce que nous disions de Parnell il y a vingt ans : c’est un roi sans couronne, le roi sans couronne d’un peuple sans terre. Mais cette comparaison est décevante comme toutes les comparaisons. En réalité, M. Zangwill est le premier leader démocratique qu’ait eu la race juive dans les temps modernes. Il est le chef d’un parti inorganique, d’une foule dont je ne puis apprécier ni les forces, ni l’étendue, ni le courage ; pas plus qu’il ne m’est possible de prévoir où aboutira cette nouvelle marche dans le désert. M. Zangwill est-il destiné à mettre fin à la période du parasitisme qui a succédé à celle de la persécution ? Ou n’est-il qu’un précurseur ?

Je lui parlais du beau livre de M. Anatole Leroy-Beaulieu, Israël chez les nations, et je lui demandais s’il n’y avait pas là beaucoup de choses justes et vraies. Il me répondit : « Oui, mais pourquoi dit-il que les Juifs n’ont pas le sentiment de l’honneur ? » Or, M. Zangwill nous a fait voir et toucher, dans plus d’un de ses récits, la douloureuse dégradation morale qui résulte de la servitude et qui a condamné toute une race humaine, merveilleusement douée, au mensonge, à la bassesse et à la peur. La révolte de la fierté raciale chez M. Zangwill contre une accusation… je me trompe, contre une constatation qu’il a faite lui-même, n’est pas seulement la révélation d’un caractère : elle est tout un programme. Relever le moral des Juifs, leur rendre la conscience d’eux-mêmes, la soif de la vie indépendante, le courage et les mâles vertus des races qui puisent leurs forces dans cette terre d’où est sortie toute énergie, telle est la mission qu’il semble s’être donnée et que lui confirme, on vient de le voir, le libre suffrage d’un grand nombre de ses coreligionnaires. Quelqu’un devait remplir cette mission : elle est, si je puis dire, à l’ordre du jour du XXe siècle. En la prenant, — ou en l’acceptant, — a-t-il trop présumé de ses forces ? On verra. S’il réussit à l’accomplir, le monde chrétien lui en devra autant de reconnaissance que la nation juive.


AUGUSTIN FILON.