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En elle, la transformation physique suit l’épanouissement moral. Mme de Maistre s’est chargée de moderniser la toilette de son amie comme Barbey, le dandy, avait jadis habillé Maurice, arrivant du Cayla en redingote informe, avec « la tournure d’un couvreur en ardoises » et gâtant par une mise antédiluvienne sa beauté mauresque d’Abencerrage. Eugénie va-t-elle visiter à Nevers une religieuse de son pays, celle-ci n’a qu’à jeter un coup d’œil sur la capote à fleurs et la toilette toute fraîche de la visiteuse, pour juger que cette compatriote n’entre pas dans le couvent afin d’y prononcer ses vœux. N’a-t-elle pas désormais de belles robes, des cols magnifiques, des cheveux bouclés ? La baronne veut faire connaître ses amies à son amie, qui ne dit pas non. « Nous retournons à Paris dans les premiers jours de janvier. C’est alors que je verrai les grandeurs du monde : je n’en connais que l’aimable, le joli, le simple. » Ce sera donc désormais, écrit Eugénie à Mlle de Bayne, « baronnes, duchesses, princesses et tant d’esprit que vous voudrez. Cela m’amuse à voir comme une galerie, car, mon amie, ne plaçons pas le cœur là-dedans, l’âme encore moins. Dieu et le monde ne sont pas d’accord. Hélas ! qu’on pense peu au ciel dans cet éclat et ce tourbillon ! C’est ce que me dit mon amie, qui le connaît et qui s’en détache ! » Curiosité et défiance, tel est donc l’état d’esprit de Mlle de Guérin au seuil de la société parisienne.

Toutefois, ce nouveau séjour à Paris garde encore un caractère relatif de gravité et de retraite. Eugénie n’a pas cessé de loger chez sa belle-sœur et ne donne à son amie que le jeudi de chaque semaine. Quelques présentations seulement se font dès cette époque : elle visite la baronne de Vaux, une héroïne légitimiste qui, en 1830, ne demandait que cinquante hommes résolus derrière elle pour renverser l’usurpateur : puis encore la duchesse de Damas, Hyde de Neuville, l’ancien ministre de Charles X, enfin Xavier de Maistre, qui n’est pas sans décevoir quelque peu sa visiteuse, « étonnée de ne rien voir d’étonnant » et d’apprendre qu’un grand homme ressemble tant aux autres hommes. — Puis, après un second séjour de printemps aux Coques, l’ermite reprend le chemin de son ermitage, saluant d’un tendre « au revoir « la plus aimable amie, celle « à qui elle doit tout après Dieu ! » — On lui a fait promettre expressément de revenir l’année suivante.