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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/414

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jusqu’a la fin un enfant pour elle, et son camarade d’école participa d’abord de ce privilège d’innocence aux yeux de la solitaire. Mais ces affections quasi maternelles peuvent être subtilement trompeuses au cœur de la femme, et l’on dirait parfois qu’Eugénie cherche à se rassurer lorsqu’elle interpose sans cesse une tombe, le mausolée de son frère, entre elle et son correspondant de Paris. Que n’accorde-t-elle pas cependant aux souhaits de Jules ? Elle va jusqu’à prier pour une « amie » qu’il a perdue, pour Pau la, sans doute la Pauline des Memoranda de Barbey, la femme blonde qu’il a si passionnément aimée, et qui semble bien avoir été une demi-mondaine : « Qui sait comment elle vous était liée, cette enfant qui vous était attachée plus qu’une âme vivante ? Mais laissons-la : aussi bien est-il de ne pensera mal sur personne. »

Après quelques mois pourtant, Barbey semble se fatiguer déjà d’une assiduité épistolaire qui lui fut dictée au début par un élan du cœur : il se tait longuement, et, sous l’influence de ce premier déboire, peut-être aussi devant les commentaires de Mme de Maistre, parfois sévère à d’Aurevilly, un scrupule se précise vers cette époque, dans la pensée d’Eugénie. On reconnaîtrait sans peine en effet le journal rédigé pour Jules dans ces « écrits » qu’elle dépose entre les mains d’un saint prêtre, en décembre 1840, afin d’écarter de son esprit un doute angoissant : « Oh ! mes pauvres pensées que je n’ose plus juger ! Que Dieu les juge ! » Mais la consultation a une issue favorable : « Je suis tranquille : le prêtre à qui j’avais donné certains écrits à juger, ou plutôt mon cœur et mes pensées, me les a rendus non pas jugés, mais approuvés, mais goûtés, mais compris mieux que je ne les avais compris moi-même. » — Sentence généreuse et digne sur cette première impulsion d’un noble cœur.

Tandis que les rapports de Mlle de Guérin avec Barbey d’Aurevilly prenaient cette nuance d’intimité confiante, quel était, au cours des dix-huit mois de retraite au Cayla qui suivirent pour elle la mort de son frère, le caractère de ses relations avec Mme de Maistre ? Il semble que, sous l’empire de son chagrin, Eugénie ait accentué parfois ses sévérités de « directrice ; » mais elle a bientôt des excuses touchantes et des retours de câlinerie maternelle : « Ma pauvre amie, je vous renverse, toujours contraire à vos idées, vos sensations, presque à vos larmes. La méchante amie que je dois être ! Pouvez-vous