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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/425

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une vraie trempe de chevalier, et ce n’est pas seulement au dedans ! » Enfin, à la veille même de leur séparation définitive, elle a cette originale image pour peindre leur amitié singulière : « Une femme a dit que l’amitié était pour elle un canapé de velours dans un boudoir. C’est bien cela, mais hors du boudoir pour moi, et haut placé sur un cap par-dessus le monde. Cette situation à part de tout me plaît ! » Y a-t-il en tout cela rien qui dépasse la fraternité d’âmes, fraternité scellée sur un tombeau entre deux esprits de la plus ferme trempe intellectuelle ?

Ce qui justifie au surplus les effusions que nous venons de rappeler, ce qui explique peut-être les illusions rétrospectives de Barbey quant aux sentimens d’Eugénie à son égard, c’est qu’elle dut s’appuyer sur lui avec plus d’abandon que jamais dans l’épreuve morale qu’elle traversa à la fin de l’été 1841. Sur ce point tout au moins, l’imagination de Barbey ne l’a point égaré et le dernier Memorandum semble confirmer son récit à Trébutien. En dépit des ratures que Mme de Maistre ne put se tenir d’y faire lorsqu’il lui fut soumis, on y voit se préparer la rupture cruelle que d’Aurevilly nous a révélée. On dirait au surplus qu’Eugénie l’avait dès longtemps pressentie, cette rupture, lorsqu’elle écrivait du Cayla à son amie : « S’il me fallait vous quitter ! Il y a cent façons de se séparer sur terre : Non que j’en aie aucune en vue, mais tôt ou tard ne faut-il pas tout quitter ?… Dieu me préserve de vos remords, de ceux que vous auriez si vous veniez à me nuire ! Quel double malheur ! »

Or voici qui semble présager ce malheur : « 0 fin de tout ! écrit Eugénie le 17 septembre 1841, fin de toutes choses et toujours des plus chères, et sans causes connues souvent pour les sentimens du cœur, par je ne sais quel dissolvant qui s’y mêle. En s’unissant, il entre le grain de séparation. Cruelle déception pour qui croyait aux affections éternelles ! Oh ! que j’apprends ! Mais que la science est amère ! Qui me restera ? Vous, ami de bronze. J’ai toujours cherché une amitié forte et telle que la mort seule la pût renverser : bonheur et malheur que j’ai eus, hélas ! avec Maurice. Nulle femme n’a pu ni ne pourra le remplacer. Nulle, même la plus distinguée, n’a pu m’offrir cette liaison d’intelligence et de goûts, cette relation large, unie et de tenue. Rien de fixe, de durée, de vital dans les sentimens des femmes. Leurs attachemens entre elles ne sont que jolis nœuds de rubans. Je les remarque, ces légères tendresses dans toutes