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Ils étaient là au moment de la Révolution, tous ces témoins d’un passé qui ne fut pas sans gloire, ces survivans des troupes auxiliaires que l’Eglise avait jetées sur son passage dans sa course à travers les siècles. Quelle multiplicité d’appellations et de créations : Bénédictins, Augustins, Génovéfains, Barnabites, Théatins, Carmes, Capucins, Cordeliers, Récollets, Feuillans ; Dominicains, Minimes, Picpuciens, Prémontrés, Mathurins, Chartreux, etc. Tous ces noms, sans parler ici des communautés séculières qui surgirent au XVIe et au XVIIe siècle, nous rappellent des règles, des vœux, des efforts, des vertus, des services, en un mot, des instituts dont chacun eut son caractère propre et son histoire. Les monastères de femmes présentaient la même diversité. En 1789, dans leur seul costume, image de l’esprit de chaque ordre, quelle variété depuis la robe de bure de la Clarisse jusqu’au manteau virginal de l’Annonciade, jusqu’à l’hermine de la chanoinesse, jusqu’à l’habit quasi pontifical de l’abbesse !

Tous les ordres que les temps avaient vus naître comptaient donc, en 1789, des disciples, témoins de l’antique fécondité de l’Eglise et persistant à se ranger autour d’elle comme une parure. Ils n’avaient pas pressenti ou du moins pas assez remarqué, dans l’ancien régime, l’orage qui allait s’amoncelant sur leur tête. Dans le cours du XVIIIe siècle, on les avait vus rebâtir leurs demeures sur tout le sol de la France avec un entraînement tenant de la frénésie, avec un luxe extraordinaire, parfois avec une mondanité déplacée. Il y avait à peine quelques moines chaque jour plus rares pour habiter ces palais. Un quart de siècle ne s’était pas écoulé depuis la réunion de la commission des Réguliers jusqu’à la Révolution ; et durant ce temps, de 1766 à 1790, il s’était opéré une énorme diminution constatée par les chiffres officiels. On comptait 26 674 religieux en 1770 et seulement 16 235 en 1790, soit une perte de 10 439 en vingt ans[1].

On a donné plusieurs raisons de ce dépérissement : la commande, le rôle de la Commission des Réguliers, l’édit du

  1. De 1766-1770 à 1790, l’ordre de Cluny a passé de 671 religieux à 301 ; l’ordre de Cîteaux de 1 873 religieux à 1 624 ; la Congrégation de Saint-Maur de 1 917 à 1652 ; les Cordeliers de 2 395 à 1 544 ; les Capucins de 4 397 à 2 674 ; les Récollets de 2 534 à 1558 ; les Dominicains de 1 441 à 1 001 ; les Génovéfains de 662 à 567 ; les Chartreux de 1 004 a 821, etc. Arch. nat., DXIX, n° 10 à 12. — Biblioth. nat., man. français n° 13 857-13 858.