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25 mars 1768 qui interdisait de recevoir des vœux avant vingt et un ans. Ces causes eurent incontestablement leur influence, mais n’expliquent pas à elles seules une pareille déchéance. La commande déjà ancienne n’avait pas empêché l’institut monastique de fleurir dans des temps antérieurs au XVIIIe siècle, et des ordres qui n’avaient jamais eu à en souffrir, tels que les Dominicains, étaient profondément atteints vers la fin de l’ancien régime. Le retard des vœux à l’âge de vingt et un ans n’aurait pas découragé une jeunesse à vocation sincère. Quant à la Commission des Réguliers, qui, établie en 1766, fonctionna plus ou moins jusqu’à la Révolution, son existence, son rôle furent possibles à cause de la décadence monastique bien plus qu’elle ne contribua à cette décadence elle-même. La vérité, c’est que les religieux étaient profondément atteints par l’esprit du siècle qui avait répandu la langueur, le découragement, parfois le dégoût et le doute dans les cloîtres, et, comme conséquence, la désaffection de la nation, la défiance du sentiment public à leur égard. Les couvens d’hommes tarissaient faute de recrutement. Leur tiédeur en écartait les âmes vaillantes, avides de sacrifice. Ils auraient eu besoin de réforme. Mais l’arbre monastique n’avait plus la vitalité qui avait permis à travers l’histoire de lui infuser par des greffes puissantes une nouvelle jeunesse. La sève semblait tarie. N’importe, le tronc avait poussé sur le sol de la France comme ailleurs des racines si profondes qu’il paraissait indestructible. Avec les fortes assises de leurs demeures, avec les titres de propriété enfermés dans leurs terriers, avec les bonnes lois défendues par des parlemens conservateurs, avec leur possession plusieurs fois séculaire, les moines paraissaient tranquilles, assurés du lendemain et tentés de s’abandonner, à leur manière, à cette joie de vivre dont parle Talleyrand. Rien ne paraît changé dans les traditions et le protocole. Mais ce qui est grave, c’est que l’opinion, elle, a changé à leur égard, l’opinion dont tout dépend à la longue, l’opinion qui les éleva jadis et qui va maintenant les détruire.

89 a sonné. La Révolution fera passer à toutes les institutions de France un examen redoutable. Ni dans les cahiers, ni dans les écrits de cette époque, nous ne trouvons contre les moines de véritables signes d’hostilité ni de haine. Ce qui est plus grave peut-être, c’est l’indifférence, et parfois le mépris, qui percent dans le sentiment public à leur égard. Ils étaient