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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/433

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dégénérés, et nul n’a dépeint cette déchéance avec plus de sincérité et d’éloquence que l’illustre auteur des Moines d’Occident. Ils étaient riches, et quelle tentation que leurs richesses pour une nation qui va se débattre dans des embarras financiers terribles ! Riches, ils semblaient en outre inutiles. Quel danger lorsque l’opulence paraît se doubler de la fainéantise ! En 1789, le reproche d’inutilité est dans toutes les bouches contre les moines. Fervens, ils auraient été peu appréciés d’une époque qui avait perdu la foi et la notion de l’ascétisme, à plus forte raison dégénérés. Décadence, richesses, inutilité, voilà les trois accusations lancées contre eux, les trois brèches par lesquelles vont passer leurs destructeurs. La philosophie avait apporté un quatrième grief. Protectrice et vengeresse de la nature, il s’agissait pour elle d’abolir les vœux qui étaient, à ses yeux, un outrage à la nature. Nous trouvons ces expressions dans la bouche de plusieurs constituans, tels que Garât et Barnave.

C’est dans ces conditions, dans cet état d’esprit, que l’Assemblée nationale aborda la discussion sur les ordres religieux. Notre intention n’est pas de rappeler longuement les débats parlementaires, ni les lois votées à leur sujet. Il s’agit ici d’une question moins connue et d’une étude plus intime. Nous voudrions, à l’aide de leurs propres écrits, de leurs lettres, de leurs paroles conservées pour la plupart aux Archives[1], pénétrer dans l’âme monastique et exposer la mentalité des couvens au moment où ils furent dispersés par la Révolution.


II

On peut dire en quelques lignes quelles mesures législatives furent prises par la Constituante à l’égard des corporations religieuses. Le 28 octobre 1789, ordre de suspendre « l’émission des vœux dans tous les monastères de l’un et de l’autre sexe. » Le 2 novembre, mainmise de la nation sur les biens ecclésiastiques, y compris ceux des communautés. Le 17 décembre, rapport de

  1. A peu près tous nos documens sont puisés aux Archives nationales, papiers du Comité ecclésiastique FXIX 596 à 612 ; DXIX 1 à 30. Nous avons eu également sous les yeux nombre de monographies et d’histoires des diocèses sous la Révolution, par MM. J. Sauzay, Deramecourt, A. Durengues, Jules Loth, abbé Le Sueur, Delare, F. Saurel, abbé Blanchet, Torreilles, E. de Broglie pour Mabillon, Fleury, Gérin, P. Chapotin, Élie Rossignol, vicomte de Brimont, H. Duclos, abbés Dubois, Bauzon, L. Chaumont, Paul Muguet, etc.