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délégués frappent à la grande porte, demandent l’abbé et, déjà commandant en maîtres, font sonner les cloches pour convoquer la Communauté, interroger les religieux et dresser l’inventaire. Extérieurement, rien ne paraît changé dans la situation et l’ordonnance du monastère. L’édifice impose par ses dimensions et sa majesté. On n’a qu’à ouvrir les yeux pour voir partout les signes d’une vaste administration et d’une situation opulente. Dans le personnel, on distingue, en dehors du Révérendissime général abbé de Cîteaux, des dignitaires de marque, « le secrétaire pour les affaires étrangères, le secrétaire pour les affaires de France, un maître des hôtels, » les titulaires des offices claustraux et autres personnages dont la dénomination seule indique l’importance. Un religieux est « gouverneur du petit Cîteaux à Dijon, » un autre, « gouverneur du château de Gilly. » Au-dessous de l’état-major, un bataillon de frères convers, avec la charge et la qualité de menuisier, charpentier, charron, tailleur d’habits, apothicaire, forgeron, tapissier, jardinier, barbier, boulanger, serrurier, bourrelier, etc., pourvoient au fonctionnement temporel de l’abbaye. Chacun de ces ouvriers en chef commande à des subalternes. On nous dit, par exemple, le nombre d’enclumes qui retentissent sous le marteau du forgeron, le nombre de chariots, charrues, herses, civières, brouettes qui sont sortis des ateliers du charron. Ces grands établissemens sont restés depuis le Moyen Age de petites cités qui doivent se suffire à elles-mêmes, et confectionner dans leur enceinte tous les objets destinés soit à l’usage personnel des religieux, soit au fonctionnement d’une immense ferme. Au besoin, deux tuileries établies dans le voisinage fournissent les matériaux nécessaires pour réparer les brèches d’une maison qui devait être éternelle.

On ne paraît pas menacé d’y mourir de faim, ni de soif. Douze étangs nourrissent le poisson. Les quatre-vingt-quatre mères vaches qui paissent dans la prairie assurent une surabondante provision de lait. Le procès-verbal se complaît à énumérer les soixante-quatorze cochons et tous les animaux de la basse-cour. Les baux des fermes stipulent des envois réguliers en chapons, animaux gras, froment. On y constate « plusieurs milliers de mesures en blé, seigle, avoine. » Les crus les plus renommés de la Bourgogne, le clos Vougeot, le Chambolle, etc., fournissent au monastère un produit de choix. Nous doutons cependant que ce nectar eût l’efficacité du vin de Ranteil, au sujet duquel les