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Cordeliers d’Albi avaient fait mettre sur leur cave cette inscription gasconne qu’on peut y lire encore :


Vinum rentale
Tollit peccatum mortale.


Bien que le clos Vougeot et le Chambolle, malgré leur réputation européenne, n’eussent pas une telle vertu, les moines de Cîteaux pouvaient s’en contenter. A côté de la cave était le bûcher entretenu par 6 000 arpens de bois pour affronter sans crainte les rigueurs de l’hiver. Disons enfin que les 122 000 livres de revenus de Cîteaux permettaient, bien que certains monastères du Nord de la France fussent encore plus riches, de soutenir un tel train.

Toutes ces propriétés étaient appuyées sur des pièces authentiques, conservées précieusement dans des archives rangées en onze armoires. Le procès-verbal fait observer qu’au moment de la visite, deux documens en avaient été soustraits pour soutenir un procès engagé par le cellérier avec l’assistance de deux avocats de Dijon, qui faisaient partie de son conseil. Ironie des événemens ! On s’amuse à plaider à coups de parchemins et de textes de loi pour quelques arpens de terre au moment où le sol tremble, et va se dérober tout entier sous les pas de ses possesseurs.

Mais les ruines matérielles se réparent, les ruines morales sont plus lamentables. Dans les couvens, les âmes souffrent d’un mal plus grand que les atteintes à la propriété. Le procès-verbal de l’inventaire, fait à Cîteaux par la municipalité, relate avec une éloquence, une brutalité douloureuses, les déchéances, les dissensions qui minent l’ordre monastique. L’Abbé est en lutte ouverte avec ses subordonnés. L’un d’eux lui dit pendant l’enquête : « Sachez, monsieur, que nous ne vous reconnaissons plus pour supérieur. » Les religieux parlent « du régime intolérable sous lequel ils gémissaient, » au point que pour s’y soustraire, ils avaient appelé, un mois auparavant, le vicomte de Bourbon-Busset qui, non content de venir en personne, s’était fait accompagner d’un détachement. Le supérieur ainsi incriminé était le « Révérendissime » François Trouvé, âgé de soixante-dix-huit ans et Abbé général de Cîteaux depuis 1748. A son tour, il répond à ces accusations par des accusations.

Dans l’interrogatoire, l’Abbé avait déclaré vouloir rester au