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ferendo impares. Il salue la liberté inespérée, tardive à son gré, qu’apporta la Constituante et qui vint le tirer de sa prostration : « Venit tandem libertas, scd sera ; respexit nos inertes ; venienti occurrimus ; suscepimus respicientem. » Sa confession se déroule dans un latin cicéronien, virgilien, avouant les manquemens au vœu de chasteté comme aux autres, montrant du moins qu’à défaut d’un bon religieux, il avait été un bon professeur de rhétorique.

Par-là, ces vaincus croient reprendre possession d’eux-mêmes. Ils rentrent aussi en possession de la société. On le sait, pour les moines dans l’ancien régime, la mort civile accompagnait la mort à eux-mêmes. Ils n’existaient plus comme citoyens. Ils n’existaient plus ni pour l’Etat, ni pour leur famille. Ils ne pouvaient ni tester, ni hériter. Or voilà que la Révolution vient tout d’un coup les tirer de ce tombeau légal. Chez un grand nombre, la surprise est celle de ressuscités. Le mot est dans la lettre de religieux qui remercient la Constituante de les avoir « ressuscités de mort à vie. » D’autres emploient un langage plus imprévu encore en exprimant leur joie « daller finir leurs jours dans la patrie. » Ils n’y étaient donc pas, dans la patrie ? cette expression ne se rencontrerait pas aujourd’hui sous la plume d’un moine. C’est qu’avant 1789 les vœux solennels, rompant de par la puissance publique tous les liens civils, le moine n’était en quelque sorte plus de ce monde. De là quand on discute à la Constituante la loi sur les ordres religieux, quand on plaide leur cause au nom des intérêts de l’instruction publique, les réserves formulées par Pétion, Barnave et Grégoire lui-même, qui demandent s’il convient, surtout avec la constitution nouvelle, de faire élever des citoyens par des éducateurs qui ne sont pas citoyens.

Mais l’objection d’ailleurs sans force, car la majorité des constituans avaient été élevés par des corporations, va tomber d’elle-même. Voilà que les moines morts au monde entendent déjà la voix du monde, qui, passant par-dessus les murailles du cloître, vient leur dire les prodigieux changemens accomplis par la Révolution et les faire tressaillir dans leur solitude. Beaucoup prêtent l’oreille et se laissent emporter dans l’enivrement universel. Ils sont vile montés au diapason de la nation. Ils parlent déjà en citoyens et en citoyens émancipés. Les religieux de l’abbaye de Fontenet écrivent à l’Assemblée nationale :