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Nosseigneurs, des solitaires ignorés osent mêler une fleur à la couronne civique que la nation vous décerne. Nous partageons avec elle sa juste admiration et sa reconnaissance pour le zèle infatigable, le dévouement généreux avec lesquels vous continuez l’édifice de sa liberté et de son bonheur. Inspirés par l’amour de la patrie et la soif de la liberté, nous vous prions de recevoir nos propriétés, l’emploi jusqu’à présent inutile de nos facultés, de nos talens et de nos vies. Nous ne voulons plus vivre sous un régime absurde, inutile pour les autres, inutile et onéreux pour nous par l’oisiveté humiliante à laquelle il nous contraint sous un régime féodal écrasant pour les subalternes… Vous vous rappellerez, Nosseigneurs, que dans la société il n’y a de formes raisonnables que celles qui tendent à développer l’homme d’une manière utile pour ses semblables et pour lui-même, et vous nous accorderez la liberté de refluer dans la société, d’y porter le désir et peut-être le moyen de lui être utiles.


Nous venons d’entendre du fond des cloîtres un double appel : appel à la liberté de l’homme par l’abolition du triple vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, appel à la liberté du citoyen par la revendication de tous les droits du Français et du patriote. Ce langage, par le ton même et les expressions employées, indique que les sentimens monastiques étaient morts chez ceux qui le tiennent. Ces religieux qui trouvent leur genre de vie oiseuse, inutile aux autres et à eux-mêmes, ont perdu la mentalité qui les avait créés et fait vivre à travers les âges. Signe sensible du changement et du nouvel état des esprits, nous voyons dans quelques lettres envoyées par eux à la Constituante leur signature accompagnée de trois points dans un triangle, ce qui était l’indice de leur affiliation à la Franc-Maçonnerie.

Quand il en est ainsi, quand la foi, quand le cœur, quand la volonté ne ratifient plus les engagemens pris, les vœux prononcés devant Dieu et devant les hommes, le décret qui délie de toute obligation civile ne fait que ratifier officiellement et au for extérieur la sentence déjà portée au for intérieur. Pour les moines qui s’empressèrent de quitter le cloître, la Constituante ne faisait que libérer ceux qui s’étaient déjà libérés eux-mêmes. De nos jours, toutes les portes des cloîtres sont ouvertes, et personne, ou presque personne, ne veut les franchir. En dehors de la vocation et de la conscience, la volonté, satisfaite en quelque sorte de la liberté même qu’elle a de s’exercer, renouvelle au besoin, et très facilement, la profession de stabilité. Autrefois, la barrière légale élevée entre cette volonté et la liberté pouvait être pour elle une sorte de provocation à s’affirmer par le fait de l’obstacle