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même opposé à ses mouvemens, et aussi une attraction de plus vers un monde qui, lui étant à jamais fermé, avait la double séduction du mystère et du fruit défendu.


VIII

Nous venons de parler des religieux que la Révolution trouva en trop grand nombre disposés à quitter le cloître ; il ne faut cependant pas croire que la désertion ait été immédiate, ni même générale. Il ne suffisait pas d’ouvrir aux moines les portes des couvens pour les voir s’élancer en masse au dehors sur tous les chemins du siècle. Il semble même que, malgré une décadence trop réelle, la majorité pût être disputée en faveur de la fidélité au poste. On a beau être frappé de langueur et atteint par le souffle du dehors, on ne rompt pas du soir au matin des liens formés par la conscience, cimentés par l’habitude, consacrés par l’Eglise et par l’Etat. De fait, l’histoire doit enregistrer une époque de transition, et à côté des fuites et des adhésions précipitées que devait avoir préparées une longue, attente, des hésitations, des surprises, des luttes, une certaine épouvante du changement de vie, des projets de réforme, des moyens-termes proposés pour ne pas mourir, et même, chez nombre de religieux dignes des temps héroïques, quelques accens sublimes.

On ne sera pas étonné de rencontrer un pareil ton chez les Chartreux, qui avaient gardé toute leur ferveur. Jusqu’à la fin de l’ancien régime, on ne put les accuser d’avoir fait mentir cet adage : Carthusia numquam reformata quia numquam de formata. Les trente-huit religieux qui appartenaient ou s’étaient réfugiés à la Grande-Chartreuse demandèrent à persévérer dans leur vocation et à garder leur monastère. Ceux de Paris occupaient au nombre de vingt-trois, à l’extrémité des jardins du Luxembourg, l’emplacement même que leur avait fixé saint Louis, il y avait plus de cinq cents ans. C’est à ce couvent que le roi de France avait fait demander la célèbre collection de tableaux de Le Sueur sur la vie de saint Bruno. Ce fondateur n’eut pas à rougir de ses disciples. De quel ton ferme, austère et pénétré, ils parlent aux députés de la Constituante.


Le but salutaire des grands travaux que vous avez entrepris, et que vous poursuivez avec tant de zèle et de constance, disent-ils, est d’assurer pour jamais le bonheur des Français ; le nôtre, le seul qui nous reste, est