Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Contentons-nous d’interroger les Bénédictins de Saint-Maur.

Prononcer un tel nom, c’est rappeler une gloire acquise dans des travaux immenses en toutes les branches des connaissances humaines, travaux qui, en immortalisant leurs auteurs, ont augmenté singulièrement le patrimoine intellectuel de la France elle-même. On sait que Saint-Maur avait rangé sous sa règle les abbayes les plus illustres : Corbie dans le Nord, Jumièges, Fécamp, Saint-Wandrille, le Bec, le Mont Saint-Michel, Saint-Etienne de Caen, dans la province de Normandie ; Marmoutiers, Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés, dans la province de France, Aucune de ces maisons n’égala l’activité féconde de Saint-Germain-des-Prés. Aujourd’hui encore, — et en 1789 ces souvenirs semblaient d’hier, — nous aimons à nous reporter par la pensée dans celle abbaye célèbre où Mabillon recevait la visite des deux Bénédictins laïques du Gange, Baluze, et aussi de Bossuet, de Fleury, du bouillant archevêque de Reims, Le Tellier, interlocuteurs de marque avec lesquels nous aurions voulu lier conversation au risque de les trouver trop savans. Heureux temps que celui où les questions d’érudition passionnent tant d’esprits, où les auteurs se connaissent, se consultent, se répondent à travers l’Europe dans cette langue universelle qui était encore le latin, où, par exemple, l’apparition du De re diplomatica dédié à Colbert par Mabillon excite parmi eux un tressaillement, et retentit comme un triomphe de la France, presque comme une victoire de Tu renne et de Condé ! L’impulsion est donnée, la tradition commence et va durer plus de cent cinquante ans. A Saint-Germain-des-Prés, le doux Mabillon, qu’on avait présenté à Louis XIV comme « le plus savant homme de son royaume, » et on aurait pu dire le plus modeste, a trouvé pour le former l’auteur du Spicilegium, Luc d’Achery, moine à ascétisme mélancolique. A son tour, il initiera à la science le bouillant Montfaucon, dont la pétulance et les saillies gasconnes feront reconnaître sous l’habit monastique l’ancien soldat de Turenne.

La congrégation de Saint-Maur était admirablement organisée pour suffire aux grandes tâches et aux longs labeurs. Ces savans moines avaient dans l’esprit le calme que donnent les convictions religieuses, dans le cœur la sérénité qu’assure le détachement de toute ambition et de toute gloire humaine. Etrangers à tous les bruits du dehors, habitant ces sommets élevés où dominent les nobles pensées et les ardeurs généreuses, ils n’avaient qu’un