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double amour : Dieu et la science. Par un heureux accord, leur goût se rencontrait ici avec leur devoir. De là les prodiges enfantés par cette passion d’amasser et de livrer des trésors. Voyez-les : cette belle ambition leur fait entreprendre ce qu’ils appellent des voyages littéraires. Un Mabillon, un Montfaucon, un Martene parcourent la France, l’Italie, l’Allemagne, frappant aux portes des monastères, et de tous les dépôts précieux, copiant des chartes, relevant des inscriptions et alors, chargés de ce précieux butin, rentrant dans leurs solitudes plus heureux que les conquérans qui rapportent les dépouilles des provinces. On comprend ce qu’un tel labeur, poursuivi pendant des générations, peut amasser de richesses. Ces moines n’obéissent à aucune préoccupation d’amour-propre. Quand l’un d’eux, succombant à la tâche, la laisse incomplète, un autre se présente pour en prendre la suite, sans enlever au premier l’honneur de l’avoir entreprise. Dom Toustain meurt alors que le Nouveau traité de diplomatique a vu à peine paraître un volume : Dom Tassin, son continuateur, maintient son nom en tête de l’ouvrage, et rend à son collaborateur défunt le plus touchant hommage. Cette permanence d’un ordre qui se survit assure le succès de collections qui manifestement dépassent les forces d’un homme.

Mabillon, le plus grand nom de Saint-Maur, pose les bases de la critique historique dans son Traité de diplomatique, repris plus tard par Dom Tassin. Avec lui Dom Luc d’Achery, Dom Martene, Dom Bouquet, ainsi que, en dehors de la congrégation, du Cange et Baluze, débrouillent le chaos des chartes primitives, de nos vieilles annales, et établissent dans leurs vastes collections de documens comme les fondemens de notre histoire nationale. En même temps, la Gallia christiana des frères Sainte-Marthe, les Annales de l’ordre bénédictin, par Mabillon, l’Histoire littéraire de France, par Dom Rivet, éclairent des chapitres particuliers de cette histoire, tandis que Dom Clément jette une vive lumière sur la chronologie par son Art de vérifier les dates. A côté de ces travaux d’ensemble, les diverses provinces du royaume, les grandes abbayes, trouvent leur historien : Dom Lobineau. Dom Morice, Dom Taillandier, ont attaché leur nom à la Bretagne, Dom Plancher à la Bourgogne, Dom Félibien à la ville de Paris et à l’abbaye de Saint-Denis, Dom Bouillard à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Dom Vaissète à ce chef-d’œuvre qu’est l’Histoire du Languedoc. Ce n’est pas seulement