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et, dans une certaine mesure aussi, en France, c’est la mainmise par l’Etat sur la prétendue plus-value non gagnée, unearned increment. Toute la première moitié et encore le troisième quart du XIXe siècle ont été remplis de discussions théoriques sur la plus-value spontanée du sol. C’était jadis une doctrine accréditée, que tous les progrès de la civilisation profitent au détenteur du sol et en enflent les revenus, sans aucun travail ni aucun mérite de sa part. On considérait que l’accroissement de la rente de la terre était fatal et devait être ininterrompu. Cette conception se rattache à ce que l’on appelle la loi de Ricardo, du nom de celui qui l’a formulée. Un certain nombre d’économistes, et parmi eux John Stuart Mill, en concluaient que l’Etat aurait le droit de s’approprier, aux dépens du propriétaire foncier, la rente du sol, à savoir tout ce qui, dans l’essor du revenu foncier, en dehors de l’intérêt des capitaux consacrés à la culture ou incorporés au sol, représentait l’effet du milieu social favorable.

A partir du troisième quartier du XIXe siècle, il fallut beaucoup rabattre de cette doctrine. Par la combinaison de circonstances diverses, notamment la concurrence des pays neufs et les progrès agricoles qui développent singulièrement la production, parfois au-delà de la consommation comme pour le vin, le revenu et la valeur des terres en Angleterre, en Belgique, en France, là sous le régime du libre-échange, ici sous le régime de la protection, ont considérablement fléchi. Les propriétés agricoles assujetties à l’Income tax, impôt sur le revenu, dans la Grande-Bretagne et l’Irlande en 1880, avaient une valeur locative de 69 548 796 livres sterl., soit en chiffres ronds 1 750 millions de francs ; en 1906-1907, elles n’ont plus qu’une valeur locative de 52 053 135 livres, soit à peine un peu plus de 1 300 millions de francs[1] ; le déclin a donc été de 450 millions de francs, ou de plus du quart dans le dernier siècle écoulé. En France, les enquêtes agricoles ont constaté que, de 1880 à la fin du XIXe siècle, le revenu des propriétés rurales a baissé en moyenne de près d’un quart également, et M. Caillaux dernièrement signalait, comme une révélation fort heureuse des sondages qu’il a fait faire pour l’impôt sur le revenu dans une grande partie du territoire, cette constatation que, à cause d’un

  1. Voyez les Statistical Abstracts for the United Kingdom, celui de 1879-1893, p. 32 et celui de 1893-1907, p. 43.