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immédiates et la beauté un peu massive de la capitale catalane. Mais il y a une étape préparatoire : Perpignan forme la transition.

Je le confesse : la seule chose qui me déplaise de cette charmante ville, peut-être la plus originale de France, c’est son nom, qui évoque des consonances fâcheuses. Je voudrais le voir orthographié à la catalane : Perpinyan, comme on l’écrivait, autrefois et comme on l’écrit encore aujourd’hui, au-delà des Monts.

Mais elle m’a toujours enchanté, parce qu’elle est restée elle-même, qu’elle a gardé sa physionomie ancienne, parce qu’elle offre des types, des costumes, une façon de vivre qui ne se rencontrent que là. Perpignan est active et commerçante. Du matin au soir, elle retentit du vacarme de ses chariots, qui véhiculent ses vins, des coups sonores des marteaux tapant sur ses foudres. Malgré l’opiniâtreté de son labeur et le sérieux de son caractère, elle est gaie, d’une gaîté épanouie, toujours égale, qui est bien moins une expansion brusque d’humeur, qu’une manière d’être. Et cette gaîté a produit les mœurs les plus pittoresques qui soient chez nous. Perpignan est la ville des muletiers et des gitanes, des espadrilles et des guitares, des diligences bariolées et des harnais éclatans. Elle est sensuelle et paradeuse. On y a le goût du plaisir. Je ne connais que deux villes, en France, qui aient une vie nocturne : Paris et Perpignan. Même à Marseille, passé dix heures, la Cannebière est un désert. À cette heure-là, Perpignan se promène sous les platanes de ses promenades, et, jusqu’après minuit, elle est attablée dans ses cercles et dans ses cafés.

Et puis enfin, Perpignan a la Place de la Loge, — un des endroits du monde les plus bizarres et les plus captivans que j’aie traversés : une rue plutôt qu’une place, un carrefour triangulaire, où se concentre, chaque soir, l’animation de la ville ! On s’y installe, comme au théâtre devant un décor de Carmen ou du Barbier de Séville. La toile de fond est formée par la Loge elle-même, l’ancienne Bourse des marchands, avec ses ogives, ses trèfles, ses balustres découpés à jour. Venise elle-même ne montre rien de plus parfait que ce pur joyau d’architecture hispano-mauresque. Sous l’éclairage factice des lampes électriques, dans le bleuissement de la pénombre, l’illusion d’un décor de comédie est complète. On regarde défiler les figurans de la pièce qui doit se jouer, en face, sous les arceaux