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violemment éclairés de la Loge : et c’est le contrebandier espagnol, avec ses alpargates d’aloès, sa taillole bourrée comme une cartouchière et sa couverture sordide pliée sur l’épaule. Ce sont les gars du pays, balançant au rythme de la marche leurs courtes blouses aux plis nombreux et aux chamarres naïvement compliqués ; puis, se déhanchant comme des Andalouses, les jolies filles aux cheveux ondulés sous la coiffe de dentelle, en jupe courte et souliers décolletés ; puis, les mères, toutes vêtues de noir, figures archaïques qui, sous la mantille et même le fichu populaire, conservent quelque chose de la dignité castillane…

Mais il n’y a pas que cette étrange petite place à Perpignan. Sans doute, la vieille cité roussillonnaise, resserrée jusqu’ici dans son enceinte à la Vauban, n’a point, à l’exception de la Loge, de très beaux édifices. Et pourtant, sa cathédrale s’impose à l’attention, avec son immense nef unique, son retable et ses triptyques, ses tombeaux d’évêques, son clocher en ferronnerie ouvragée où les cloches se balancent à l’air, comme dans une cage fleurie. Le clocher avait autrefois un étonnant carillon. J’entends encore, par les soirs d’été, cette salutation angélique de l’heure s’égrener, en un beau chapelet de notes cristallines, dans les ténèbres sonores de la rue Font-Froide, une rue à vieux logis, dont le silence glacial n’est rompu que de loin en loin, par le pas d’une dévote attardée, ou le heurt d’un lourd vantail qui se referme.

Est-ce la nonchalance méridionale, cet air de mollesse abandonnée, qui prête, ici, une grâce même aux choses les plus communes ? Je sais, à Perpignan, une simple placette avec une fontaine ombragée d’un platane, tel coin de rue que surplombe, sous un échevèlement de glycines ou de vignes vierges, le pignon roussi d’un ancien hôtel, telle venelle montante, — qui vous obligent à vous arrêter subitement comme devant une vision d’art imprévue. Mais surtout Perpignan a le rose ensoleillé de ses briques, non pas seulement son Castillet, ce groupe de tours médiévales qu’on a détaché de ses anciens remparts, mais une foule de maisons particulières et jusqu’à des ruelles saupoudrées de poussière argileuse et qui éclatent comme des corridors sablés de corail entre les durs cailloux de la bordure et les crudités splendides des légumes entassés aux seuils des échoppes. Et il y a aussi les églises, — des églises qui, sans être extraordinaires, ont néanmoins un charme *. Saint-Jacques,