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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/575

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général, dénués de faste et d’attractions particulières. Les Novedades, près du théâtre du même nom, me représentent ce que j’ai vu de plus éblouissant, dans ce genre, à Barcelone : immensité des salles, éclairage aveuglant, peintures murales exécutées par des artistes du cru, et, tout au fond, dans un recul majestueux, comme un sanctuaire sans cesse occupé par les cérémonies du culte, un vaste fumoir, où quarante billards retentissent du choc perpétuel des carambolages. Les fidèles regorgent, débordent jusque sur la terrasse qui se développe en bordure le long du Paseo de Gracia. On y trouve à peu près toutes les classes de la population mêlées avec une belle franchise démocratique. L’ouvrier en espadrilles, le paysan en blouse s’y coudoient avec le petit employé, voire le bourgeois riche qui vient s’y asseoir pendant les entr’actes du théâtre. Les boissons qu’on y déguste ne sont pas précisément délicieuses, les dînettes de biscuits qu’on y fait sont plutôt frugales, et, à part les fanatiques du billard, on y joue très peu. Si l’on y reste, si l’on s’y éternise pendant des heures, ce ne peut pas être pour de grossières jouissances matérielles. On s’installe au café, parce qu’au sortir du chantier, du bureau, ou du logis malgracieux, on y goûte l’ivresse de vivre en splendeur. Oui ! je veux me le persuader, ils viennent ici pour l’unique volupté de la lumière ! Ils y sont comme en apothéose, parmi les fulgurations des lampes électriques, qui transfigurent les objets et qui font trembler les contours des visages plus pâles dans un nimbe de féerie.

Et c’est encore pour l’intensité de leur éclairage diurne ou nocturne, pour leur papillotement de couleurs chaudes, leur animation continuelle, que les Ramblas ont un tel caractère. Les Barcelonais les comparent volontiers à nos grands boulevards. Ils ont tort : leurs Ramblas ressemblent bien plus aux « Cours » de nos villes du Midi, avec leur chaussée médiane plantée d’arbres, où ne circulent que les piétons, et leurs deux allées latérales, qui sont réservées aux voitures. Le va-et-vient des foules, des tramways et des attelages y est, pour ainsi dire, ininterrompu. A sept heures du soir, la circulation y devient peut-être plus compacte qu’à Marseille, à la croisée de la Cannebière et du cours Belzunce, ou qu’à Paris, dans les carrefours les plus fréquentés de la Rive droite. C’est l’instant triomphal des Ramblas. Le mouvement s’apaise à l’heure du dîner, pour reprendre entre neuf et dix. Cela dure jusqu’après minuit. Vers