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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/593

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propre vie, telle fut la pensée pieuse, très humaine, très généreuse et très moderne aussi qui inspira le fondateur comme l’architecte.

Évidemment, il y avait là matière à chef-d’œuvre. Avec beaucoup de talent, d’élévation, de simplicité de cœur et de foi, on pouvait faire quelque chose d’admirable. Or, la basilique n’est pas achevée, elle est réduite, pour l’instant, à l’abside et à l’un des portails du transept. Ce fragment n’en est pas moins colossal ; il permet déjà de deviner l’ensemble. Si confuse et si pénible que soit l’impression produite, je n’ose pas dire que la tentative ait complètement échoué. Ce qu’on en voit vous désarme par l’ingénuité et la démesure de l’effort. On reste rêveur devant le spectacle pitoyable d’une volonté ainsi acharnée à créer du nouveau, tendue jusqu’au paroxysme et jusqu’au délire.

Pour ne rien dire des tours, — extrêmement imprévues et bizarres, surmontées vers le faîte d’une spirale de colonnes, qui « tournent comme un rébus autour d’un mirliton, » — la décoration du portail englobe, à elle seule, les trois règnes, le minéral, le végétal et l’animal, à croire que l’auteur a voulu y épuiser toutes les formes de la création. Des stalactites sont suspendues aux renflemens rocheux des frontons. Des palmiers déploient, en manière de cintre ou d’ogive, les éventails de leurs branches Des poulpes, des mollusques y nouent leurs anneaux, y traînent leurs masses gélatineuses. Çà et là, des coquillages entr’ouvrent leurs valves, des escargots se promènent, des grenouilles obèses crachent l’eau des gouttières. À ces bêtes aquatiques se mêlent les animaux de l’étable et de la basse-cour : le bœuf, l’âne, les poules, les canards et les oies. De grands chapelets de Lourdes, accrochés on ne sait comment, encadrent cette orgie d’histoire naturelle, où se détachent, par surcroît, des figures humaines et divines, des scènes évangéliques : le charpentier Joseph courbé sur son établi, la Fuite en Egypte, l’Ange du Jugement embouchant sa trompette, toute une sculpture simplifiée et paradoxale à la Rodin, — ou bien poncive et conventionnelle comme la statuaire de la rue Saint-Sulpice. Visiblement, l’architecte a tâché de symboliser la maison de Nazareth qui, sous les humbles apparences d’une masure d’ouvriers, contenait le maître de l’Univers et l’Univers lui-même vivant dans la Pensée du Verbe. C’est un tohu-bohu de cauchemar que le seuil de ce temple dédié à Jésus, Marie et