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Je ne prétends pas qu’il soit antirationnel de supposer qu’un jour on trouvera le moyen de passer d’un corps brut à un corps vivant et par suite d’unifier la biologie et la physicochimie. Je n’établis pas entre ces deux sciences la barrière définitivement infranchissable que j’admets entre la biologie et la morale ou la métaphysique. Mais je déclare et je vais essayer de démontrer que, dans l’état actuel de la science, la biologie ne doit pas être identifiée aux sciences physicochimiques, n’est pas un chapitre de la physicochimie. J’ajouterai même que les plus récens progrès de la science, loin d’infirmer cette conclusion, ont fourni de nouveaux et puissans argumens à la thèse vitaliste[1], en permettant de compléter et de mieux préciser les caractères qui différencient les êtres vivans des corps bruts.


Une première remarque est nécessaire pour dissiper, dès le début, un malentendu qui pèserait lourdement sur toute la discussion ultérieure.

Il ne faut pas chercher (et personne n’a jamais voulu donner) dans la doctrine vitaliste une explication ou même un essai d’explication des phénomènes vitaux. Il s’agit uniquement d’un principe de classification des sciences, principe contraire à celui des monistes, principe en vertu duquel on sépare les phénomènes biologiques des phénomènes physicochimiques, on leur découvre des lois différentes et on en fait l’objet de sciences distinctes : la biologie et la physicochimie.

Même réduit à ce rôle de principe de classification, le vitalisme reste important et utile.

La science tout entière n’est-elle pas faite de disjonctions et de rapprochemens, logiques et démontrés ? Œrsted et Ampère n’ont-ils pas fait faire à la science un progrès considérable et fécond, en rapprochant les phénomènes magnétiques des phénomènes électriques, sans avoir la prétention de donner l’explication des uns ou des autres ?


Deuxième remarque préliminaire : je laisserai constamment de côté et ne prononcerai plus les mots irritans et inutiles de principe vital ou de force vitale.

  1. Sur les diverses formes du vitalisme jusqu’aux plus récentes (néovitalisme), voyez le beau livre de M. Dastre, la Vie et la Mort, dont la plus grande partie a paru dans la Revue et les Rapports de Reink et de Giard au IIe Congrès international de philosophie à Genève (1904).