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À ces reproches pour des procédés dont il souffre — « car, dit-il, un ministre qui aime son maître a besoin d’en être aimé, » — succèdent des remontrances hardies sur « le manque d’expérience d’un roi de vingt-deux ans, » qui, « ne pouvant juger les hommes ni les choses » par lui-même, devrait du moins se rappeler les leçons du règne précédent, évoquer le triste tableau de ce qu’était l’autorité royale à la mort du Roi son grand-père : « Sire, vous avez vingt-deux ans, et les parlemens sont déjà plus animés, plus audacieux, plus liés avec les cabales de la Cour, qu’ils ne l’étaient en 1770… Votre ministère est presque aussi divisé et plus faible que celui de votre prédécesseur. Songez que, suivant le cours de la nature, vous avez cinquante ans à régner, et, pensez au progrès que peut faire un désordre qui, en vingt ans, est parvenu au point où nous l’avons vu ! Ah ! sire, n’attendez pas qu’une pareille expérience vous soit venue, et sachez profiter de celle d’autrui. »

Sortant des généralités, Turgot tranche alors dans le vif et vient à la question du jour, la crise ministérielle ouverte par la retraite de Malesherbes et le choix scandaleux que l’on propose au Roi. De ce danger pressant, il se prend franchement à Maurepas. Il peint, en termes saisissans, avec une vigueur implacable, la légèreté, la versatilité de ce vieux conseiller du Roi, dominé par tous ses entours, dominé par sa femme, — « qui, avec infiniment moins d’esprit, mais beaucoup plus de caractère, lui inspire toutes ses volontés, » — changeant d’idées dix fois de suite, cédant « aux cris des gens de Cour, » et craignant en même temps tous ceux qui pourraient le soutenir et lui donner l’énergie qui lui manque. « Sire, vous avez besoin d’un guide ; il faut à ce guide lumière et force. M. de Maurepas a la première de ces qualités, et il ne peut avoir la seconde, s’il n’a lui-même un appui. » Il se défend pourtant de toute hostilité à l’égard d’un collègue qui jouit de la confiance du Roi et qui, — il ne cherche pas à le nier, — possède aussi des droits sur sa propre reconnaissance : « Je dois à M. de Maurepas la place que Votre Majesté m’a confiée, jamais je ne l’oublierai… Mais je dois mille fois davantage à l’Etat et à Votre Majesté. Je ne pourrais sans crime sacrifier les intérêts de l’un et de l’autre. Il m’en coûte horriblement pour dire à Votre Majesté que M. de Maurepas est vraiment coupable s’il vous propose M. Amelot, ou du moins que sa faiblesse vous serait aussi funeste