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menus détails n’y sont point insipides : ne fût-ce que le bref dialogue, de quelques mesures à peine, entre deux jeunes spectatrices de la partie de pelote. On y croit presque ressentir l’impression d’un autre, celui des deux bohémiennes, au dernier acte de Carmen, devant l’entrée de la plaza. Les danses surtout ne manquent pas d’agrément et de vivacité. Que dis-je, elles sont presque trop vives, et je crains que les danseurs, indigènes pourtant, n’en aient dû forcer, pour l’effet théâtral, et le caractère et le mouvement. Ceci nous amène à la question de la couleur et de la vérité locales, de l’idée ou de l’image sonore que ce drame et cette musique devraient donner et ne donnent pas, ou donnent mal, de ce pays. Nous le connaissons bien, car il est à demi nôtre, et presque nulle part, hormis dans le décor, nous ne l’avons ici reconnu. Ce ne fut point d’abord à l’accent. Les noms de là-bas se prononcent d’autre sorte. Et puis quelques traits, quelques touches, soi-disant caractéristiques, n’ont paru que posées ou plaquées au hasard. Ainsi, vers la fin du premier acte, les amoureux murmurent l’un après l’autre, en se signant, la formule traditionnelle qu’ils espèrent graver un jour au seuil ou plutôt au front de leur demeure : « Cette maison a été bâtie par Chiquito, pour y vivre avec Pantchika son épouse. Ave Maria. » Cela se lit, en effet, là-bas, au-dessus des portes anciennes. Pourquoi donc a-t-il semblé qu’ici, passant des vieux Linteaux de pierre sur les lèvres pourtant souriantes et mélodieuses de Mme Carré, ces mots dégénéraient de leur grandeur et de leur gravité ? Pourquoi n’a-t-on plus trouvé qu’un effet de théâtre, et d’opéra-comique, une formule affectée et mièvre, dans cette dédicace ou cette consécration, religieuse et domestique à la fois, des antiques foyers ?

Le musicien, ’pourtant, n’a pas négligé le soin de l’exactitude. A travers son ouvrage, on entend plus d’une fois un thème « authentique » passer. Mais cela ne suffit pas et ne saurait suffire. Ce qu’il faut et faudra toujours, je ne sais plus quel artiste russe autrefois l’a compris et l’expliquait en ces termes, à propos de la musique de sa patrie : « Il ne s’agit pas de transporter dans une œuvre un chant populaire, mais de quelque chose de bien plus difficile : en le copiant, ou sans le copier, il faut refaire en soi le procédé suivant lequel, durant le cours des siècles, toute la musique populaire a été créée par ses auteurs inconnus. »

Que ce soit par la musique indigène ou par une autre, « refaite » en quelque sorte, à l’image de la première et devenue sa sœur, le musicien de Chiquito n’a pas su rendre l’aspect, ou le visage, et moins