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cercle étroit enferme et rassemble en quelque sorte le vaste poème wagnérien.

Au sein du fleuve leur père, les trois filles du Rhin s’ébattent en chantant. Elles cachent parmi les ondes l’or pur, innocent tant qu’il restera sous leur garde ; or magique aussi, qui donnera le pouvoir à qui, l’ayant su ravir, en forgera l’anneau, pourvu seulement que le ravisseur abjure et maudisse l’amour. Alberich, nain hideux, que tourmente la convoitise de l’or, finit par le saisir et profère le serment impie. Le bruit de son larcin bientôt arrive jusqu’aux dieux. Ceux-ci, présentement, se voient réclamer par un couple fraternel de géans, Fafner et Fasolt, le prix du burg céleste, le Walhalla, que les deux énormes maçons viennent de construire pour eux. Et ce prix, convenu d’ailleurs, n’est autre que la belle et douce Freia, déesse de l’amour. « Plus d’amour, partant plus de joie. » Wotan, qui ne l’ignore pas, Wotan, le maître de l’Olympe Scandinave, retarde le plus possible la livraison et cherche le moyen, si j’ose ainsi parler, de substituer au paiement en nature un règlement en espèces. Le subtil et perfide Loge, le petit dieu de la flamme, qui médite en secret la perte de ses collègues, survient dans le conseil, dans la querelle aussi, car les géans perdent patience et s’irritent. L’amour, au dire de Loge, a bien son charme. Rien sous le ciel et sur la terre n’est égal ou comparable à l’amour. Quelqu’un pourtant lui préféra l’or et la toute-puissance. C’est Alberich, et Loge vient au nom des Ondines le dénoncer et prier Wotan de le punir.

Déjà, par les discours du rusé compère, un vague désir s’est insinué dans l’âme des géans et dans celle du dieu. Rêveur et troublé vaguement, Wotan, que Loge accompagne, ira surprendre et saisir au fond du Nibelheim Alberich, possesseur de l’or et forgeron souterrain de l’anneau. Le Nibelung, dépouillé à son tour, rejettera sur le dieu la malédiction éternellement attachée au joyau funeste. Maintenant, pour le rachat de Freia, voici que les trésors, volés une fois de plus, s’amoncellent aux pieds et jusqu’au front de la déesse. Comme solde de sa rançon, les géans exigent même l’anneau que Wotan porte à son doigt. Averti par une voix prophétique, le dieu le leur abandonne. Eux, de se le disputer aussitôt. Fafner, d’un coup de massue, assomme son frère et s’enfuit, emportant la bague de malheur.

Le soir vient, un soir orageux d’abord, mais que bientôt l’arc-en-ciel éclaire. Aux feux du couchant resplendit la citadelle divine et, tandis que les filles du fleuve redemandent, lointaines et plaintives, l’or sacré, l’or chéri, pour elles seules sans menace et sans péril, on