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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/701

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voit sur l’arc aux sept couleurs, comme sur un pont de lumière, marcher vers le Walhalla, derrière Wotan pensif, le cortège des dieux.

Voilà les faits, qui ne sont rien. Quant au sens, à l’esprit, on l’a dégagé, développé trop souvent, pour qu’il soit désormais étranger à personne. Nul ne saurait plus demander, en parlant de l’immense poème issu de la préface grandiose : « Qui racontera sa génération ? » mais plutôt : « Qui ne l’a pas racontée ? » On connaît jusqu’au moindre rapport que soutient, avec une telle suite, un tel commencement. On avait déjà mesuré le tronc de l’arbre et compté ses rameaux ; on en découvre aujourd’hui les racines. Philosophie, religion, morale, sociologie et le reste, l’exégèse a pu trouver de tout, sinon tout trouver en un sujet et autour d’un sujet qui se définirait assez bien, à la manière de Nietzsche : le conflit éternel entre la volonté de puissance et la volonté d’amour. Le Rheingold ouvre le débat : après les incidens ou les péripéties de la Walkyrie et de Siegfried, il sera clos par la Götterdämmerung. Inutile de montrer, après tant d’autres, que, d’un bout à l’autre du quadruple drame, le principal personnage, le plus agissant, et celui par qui sont « agis » tous les autres, c’est Wotan. Quelqu’un l’a dit, l’Anneau du Nibelung est le drame ou la tragédie de la pensée de Wotan. Voilà pourquoi dans le Rheingold, sur le seuil et comme à la base de la tétralogie, Wotan occupe la première place et semble accaparer l’action tout entière. Enfin, dans l’ordre de la musique, autant que dans celui de la poésie et du drame, Rheingold, excusez le jeu de mots, est un véritable « exposé des motifs. » La musique ici, dit fort bien M. Chamberlain, après et d’après Wagner, « crée plastiquement les thèmes élémentaires, qui deviennent, en s’individualisant de plus en plus dans leur développement, les supports des tendances passionnelles du drame dans toutes ses ramifications, et des caractères qui s’y manifestent. » D’où l’intérêt particulier qu’il présente, intérêt « primordial » et correspondant, en sens inverse, à celui que possède la Götterdammerung. La première partie du Ring est une annonce, la dernière une synthèse. Celle-ci nous procure un plaisir de mémoire, nous devons à l’autre la joie d’une surprise et d’une révélation.

Tâchons de les entendre, ces motifs, comme s’ils nous étaient nouveaux, en tâchant d’oublier ou d’ignorer aussi leurs fonctions et leur mission future, leurs développemens et leurs métamorphoses à venir. Sous leur forme élémentaire, en eux-mêmes, en eux seuls ils ont déjà le caractère, la force, ou la grâce, et la beauté. Sans doute, et M. Chamberlain encore l’a fait justement remarquer, « dans l’Or du Rhin