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Ceux que l’on doit considérer comme les auteurs de cette disgrâce éprouvèrent, semble-t-il, dans le premier moment, un peu de gêne de leur victoire et comme une involontaire confusion. La Reine, en annonçant l’événement à sa mère, décline toute responsabilité directe : « J’avoue à ma chère maman que je ne suis pas fâchée de ces départs, mais je ne m’en suis pas mêlée[1]. » L’Impératrice ne fut qu’à demi convaincue : « Je suis bien contente, répondit-elle[2], que vous n’ayez point eu de part au changement des deux ministres, qui ont bien de la réputation dans le public… Vous dites que vous n’en êtes pas fâchée ; vous devez avoir vos bonnes raisons ; mais le public, depuis un temps, ne parle plus avec tant d’éloge de vous et vous attribue tout plein de petites menées qui ne seraient convenables à votre place. » De même que Marie-Antoinette, les Maurepas s’évertuèrent à retirer leur épingle du jeu. Le jour même du renvoi, la comtesse de Maurepas adressait à Véri ces lignes de condoléance, d’une féminine hypocrisie[3] : « Je vous mandais hier la retraite de M. de Malesherbes. Aujourd’hui je vous dirai que le Roi a remercié M. Turgot. Je vous avouerai que cela me fait beaucoup de peine, et, ce qui l’augmente, c’est que je crois qu’il tenait à sa place plus que vous ne le pensiez. Il y a un mois que cet orage gronde sur sa tête, sans qu’il ait voulu s’en apercevoir. Je lui ai parlé de façon à lui faire voir que le Roi n’était pas prévenu pour lui ; il n’a pas voulu me croire. Enfin voilà tous vos amis hors de la Cour. Il n’y reste plus que nous ; l’âge et les infirmités nous en feront bientôt sortir. » Il n’est pas jusqu’à Maurepas qui, le même jour, n’ait essayé, assez gauchement d’ailleurs, de donner le change à Turgot : « Si j’avais été libre, monsieur, de suivre mon premier mouvement, ne craignit-il pas d’écrire, j’aurais été chez vous. Des ordres supérieurs m’en ont empêché. Je vous supplie d’être persuadé de toute la part que je prends à votre situation. » Ce qui lui valut cette réplique, d’une ironique amertume : « Je reçois, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je ne doute pas de la part que vous avez prise à l’événement du jour, et je vous en ai la reconnaissance que je dois… Quand on n’a ni honte ni remords, quand on n’a connu d’autre intérêt que celui de l’Etat,

  1. Lettre du 15 mai 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Lettre du 30 mai 1776. — Ibid.
  3. Lettre du 12 mai 1776. — Journal de l’abbé de Véri.