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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/73

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quelque temps. » Si Turgot, comme il le confesse, était encore à ce moment mal instruit du dessous des cartes, nous connaissons, par les détails que l’on a lus plus haut, l’origine immédiate et les raisons cachées de ce brusque renvoi.

Louis XVI, la promesse arrachée et la décision prise, avait senti l’impatience d’en finir. Son procédé, comme il arrive aux faibles, eut même quelque chose de brutal. Turgot, dans l’après-dînée du 10 mai, s’était rendu au château de Versailles, dans l’espoir d’obtenir du Roi quelques explications. Il fut annoncé par Vergennes. Louis XVI, en entendant son nom, eut un mouvement d’humeur ; il ferma un tiroir avec une si grande violence, « qu’il en pensa fausser la clé. » Il se leva, parut sur le seuil de son cabinet : « Que voulez-vous ? dit-il au contrôleur général. Je n’ai pas le temps de vous parler, » et, lui tournant le dos, il rentra dans la chambre[1]. Cette tentative, renouvelée trois fois le lendemain, eut toujours le même insuccès. Le dimanche 12, vers dix heures du matin, Malesherbes, sortant du château, où, suivant la convention faite, il venait d’apporter lui-même sa démission au Roi, fut chez Turgot pour lui en donner la nouvelle. Sa visite terminée, il prit congé de son ami ; dans l’escalier, il rencontra Bertin, l’homme à tout faire, qui, depuis la retraite du duc de La Vrillière, était chargé d’annoncer leur disgrâce aux ministres qu’on renvoyait[2]. Il devina sans peine le sens de cette démarche matinale, remonta les degrés, entra sur les pas de Bertin dans l’appartement de Turgot : « Je comptais partir seul, s’écria-t-il avec gaîté, nous partirons deux ensemble ! » Turgot prit la chose plus gravement. Lorsque Bertin lui eut « brièvement notifié l’ordre du Roi, de remettre son portefeuille en même temps que sa démission de la surintendance des postes, » il parut, au dire de Hardy[3], « aussi surpris que mortifié. » Malgré l’injonction faite, — « sans d’ailleurs prescrire de délai, » — de quitter la ville de Versailles sans paraître à la Cour, une dernière fois il essaya d’obtenir une audience du Roi. Cette faveur lui fut refusée. Alors seulement il partit pour Paris, et de là pour la Roche-Guyon, chez la duchesse d’Anville.

  1. Souvenirs de Moreau.
  2. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 15 mai 1776. — Archives de l’Aube.
  3. Journal inédit, passim.