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la vérité historique et d’en soumettre les élémens aux jeux de son inspiration. Mais je me demande pourquoi Selma Lagerlöf, qu’on ne peut accuser de mièvrerie, et chez qui, au contraire, la sensibilité féminine se relève d’un goût nettement marqué pour les brutalités audacieuses, a ici rapetissé et comme affadi un sujet dont la beauté dramatique, et, même à ne le regarder que par son côté profane, dont la couleur barbare devaient séduire en elle l’héritière des vieilles sagas Scandinaves. Notez qu’on la sent très sincèrement touchée de la légende qu’elle a lue et qu’elle a vue peinte dans les églises de Sienne et dans la maison de Sainte Catherine. Mais je crois que les gens du Nord sont souvent tentés d’affaiblir jusqu’à la puérilité le caractère méridional, comme ils sont toujours portés à représenter le catholicisme sous des formes enfantines. Ils ont le sens du mystère, mais non du mystère qui se cache derrière des apparences harmonieuses et éclatantes. Le mystère est pour eux inséparable de l’indécision et du crépuscule.

J’entends ce que Selma Lagerlöf me répondrait. Pourquoi voulez-vous que je me forme de Sainte Catherine l’idée que vous vous en formez logiquement d’après ceux qui l’ont connue ? Les héros n’ont-ils pas cet avantage que notre fantaisie peut s’en façonner des représentations aussi diverses que nous différons nous-mêmes les uns des autres, sans qu’on puisse dire, si toutefois nous sommes émus d’un sincère amour, qu’aucune d’elles soit fausse ? Ne sont-ils pas la substance merveilleuse dont nous alimentons notre vérité intérieure et dont nous faisons, les uns de la douceur, les autres de l’énergie ? Exigez-vous du soleil qu’il produise les mêmes effets sur tous les êtres qui se réchauffent à sa lumière ? J’ai besoin que ma Sainte Catherine ressemble un peu aux petites filles de mon pays. Elle est aussi vraie que votre Siennoise, puisque mon cœur reçoit d’elle un égal bienfait… Mais, au lieu de me répondre, Selma Lagerlöf me renverrait sans doute à son beau conte d’Astrid[1].

Le vieux barde Hjalte entretient pendant des jours et des jours une jeune princesse d’Upsal et sa jeune esclave du roi de Norvège, Olaf Haraldson. Toutes les deux recueillent les mots de Hjalte « comme s’ils étaient des fils de soie ; » et chacune d’elles dans sa pensée en tisse « comme un gobelin brillant »

  1. Astrid (Reines de Kungahalla).