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une image du Roi. La princesse le voyait haut et couronné, assis sur un trône que soutenait un Troll dompté. Un manteau rouge brodé d’or, lui descendait des épaules aux pieds. Il avait dans sa main, non une épée, mais de Saintes Écritures. Blanc comme de la cire, son visage luisait encadré de longues boucles. La paix et la piété resplendissaient dans ses yeux. Un éclat surhumain rayonnait de cette pâle figure. « Mais Astrid, la blonde esclave, qui avait éprouvé le froid et la faim et supporté bien des peines, et qui pourtant remplissait la maison de son rire et de sa gaîté, s’imaginait le Roi tout autrement. Chaque fois qu’on parlait de lui, elle croyait voir le fils du bûcheron qui, le soir, sortait de la forêt la hache sur l’épaule. « Je te vois ! Je te vois si bien ! disait Astrid à l’image. Tu n’es pas haut de taille, mais large d’épaules, et souple et léger. Quand tu as passé toute la journée dans l’obscurité des bois et que tu atteins la route, tu te mets à rire et à sauter, et le dernier bout du chemin, tu le fais en quelques bonds… Je te vois ! Tu as un visage blanc et rose et une ligne de taches de rousseur à travers le nez. Dès que tu aperçois ta cabane, tu lèves ton bonnet, tu découvres ton front. Ne conviendrait-il pas à un roi, ce front-là ? Ne pourrait-il pas, ce front-là, porter le heaume et la couronne ?… » Si le barde Hjalte avait vu ces deux images, sûrement il les eût louées l’une et l’autre. Toutes deux ressemblaient au Roi, eût-il dit, car c’est le privilège du roi Olaf d’être un jeune homme dru et gai en même temps que le héros de Dieu ! »

Il ne nous convient pas d’être moins sages que le barde Hjalte. J’avouerai seulement que je préfère la fantaisie de Selma Lagerlöf quand elle se déploie dans les horizons familiers de sa terre natale. Je l’aime surtout, cette fantaisie si légère, lorsque je la sens nourrie de réalité.

Dans sa nouvelle Les Proscrits, Tord le meurtrier regarde ses mains comme pour y chercher les chaînes qui l’ont traîné jusqu’au meurtre de son ami. « Mais ces chaînes étaient forgées de rien, du jour vert dans les roseaux, du jeu des ombres dans les bois, du chant de la tempête, du bruissement des feuilles et du charme des rêves. » Il en est de même des chaînes dont Selma Lagerlöf nous captive. Elevée au milieu des lacs et des forêts dans la petite ferme où elle logea plus tard son violoniste Lilliécrona, je ne dirai pas qu’elle aime la nature en tant que cet amour suppose chez l’artiste une exploitation très consciente et