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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/779

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créées par des pauvres qui savaient mieux que personne les besoins des pauvres et qui étaient plus riches que personne en amour de la pauvreté. Selma Lagerlöf adore les légendes, non comme nos artistes littéraires qui en font une exposition de miniatures et de joailleries. Elle les adore comme les enfans, comme les bonnes femmes, comme les plus simples d’entre nous, pour leur grande générosité et pour leurs miracles de justice. Rien, dans ce genre, ne me paraît plus fastidieux que l’affectation de l’ingénuité et les jeux élégans du pastiche. L’auteur pense-t-il que je m’intéresserai à des choses dont ses artifices et ses coquetteries m’avertissent qu’il s’estime très détaché ? Et, s’il se propose de m’administrer une leçon de morale, qu’ai-je à faire de tout ce bric-à-brac d’insincérité ? Il ne me traite ni en enfant, ni en égal. Je conviendrai pour lui plaire que ses phrases sont jolies, qu’il a du style et surtout des lettres. Mais je veux que l’auteur d’histoires fabuleuses y apporte ce que j’appellerai la bonne foi de l’imagination, qu’il me mette en communion d’esprit et de sentiment avec ceux qui y ont cru ou qui peuvent y croire, et qu’il n’y cherche pas une misérable occasion de dépenser beaucoup d’esprit pour nous prouver que les saints et les martyrs n’en ont pas.

Quand je lis Selma Lagerlöf, les légendes me sont racontées de la même façon que les gens du peuple me les raconteraient s’ils avaient le don. Je les vois avec leurs yeux ; et il se trouve que je ne les ai jamais mieux vues. Plus tard j’en jouirai littérairement. Elles n’ont d’abord excité en moi que le fonds commun d’imagination et de sensibilité d’où sont sortis, depuis trois mille ans, les chefs-d’œuvre populaires. Dès les premiers mois, je suis pris. Les débuts de ses romans et de ses nouvelles sont des jaillissemens de verve heureuse et dramatique. Ses personnages se pressent et s’agitent, tous distincts, tous vivans. Entre mille détails, elle choisit ceux qui donnent la vie et qui, toujours très simples et en petit nombre, ne sont guère plus analysables que le mystère de la vie. Ils se gravent aussi bien dans la mémoire de l’enfant que dans celle de l’homme mûr. C’est une altitude, un geste, un mot, qui éclate au milieu du récit fantastique, comme la parcelle brillante de vérité dont nous fascine un doux mensonge, et qui offre à la croyance du lecteur la réalité terrestre dont elle a besoin pour s’enraciner. Un chasseur de l’ancien temps découvre sous une grotte sauvage une