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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/800

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connexes, que la question albanaise prend toute son importance. Pour tous les États balkaniques, la destinée future de l’Albanie est un problème capital : le sort de la Macédoine en dépend. Longtemps silencieuse et ignorée, l’Albanie entre aujourd’hui dans la politique européenne. Quelle place y tiendra-t-elle ? C’est ce qu’il nous a paru opportun d’étudier.


I

Des plaines du Vardar à l’Adriatique, de la Thessalie au Monténégro, l’Albanais est maître par le droit du premier occupant et par le droit du plus fort. Par la race, par la langue, par les croyances, par les mœurs, il se distingue et se sépare des autres peuples de la péninsule ; il a son individualité bien tranchée. Il confine vers le Sud aux Hellènes, vers le Nord et vers l’Est aux Slaves, mais nulle part il ne se confond ni avec les uns, ni avec les autres ; il lui arrive d’assimiler, de gré ou de force, ses voisins, mais il ne se laisse pas assimiler par eux : il les méprise. Qu’il soit grand vizir à Stamboul ou berger dans les solitudes du Pinde, le Skipetar — c’est ainsi que lui-même se nomme — est un aristocrate, un homme libre, un noble. Le Bulgare, dans les plaines de la Macédoine, se courbe sur son sillon et laboure la terre du Turc ; l’Albanais, lui, est le roi des montagnes ; chasseur, pasteur, soldat ou brigand, il dédaigne le travail assidu, obligatoire, qui fait de l’homme un esclave ; il entend n’obéir qu’à ses coutumes et ne relever que de son fusil. Son rôle historique est en rapports étroits avec sa nature et sa nature avec celle de son pays.

Les montagnes d’Albanie et le peuple qui les habite forment entre l’Adriatique et l’Orient ottoman un écran opaque, impénétrable. D’Otrante ou de Bari, pour parvenir en Macédoine, il faut contourner la triple fourche de la Grèce ! Sur tout le littoral turco-albanais, pas un bon port n’est aménagé, pas une route ne s’enfonce vers l’intérieur. Si, au contraire, nous nous reportons aux temps antiques, que voyons-nous ? Sous les empereurs, l’Adriatique est le centre du monde romain ; ses rivages se couvrent de villes florissantes ; Pola, Salona, Dyrracchium, et tant d’autres dont les ruines attestent la splendeur, sont les ports d’où partent des routes qui vont vers le Danube, vers le Bosphore, vers Athènes ; la circulation et le trafic y sont intenses ;