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mais avec l’ordre de ne pas tirer un coup de canon et de ne pas débarquer un homme ; en même temps, à Constantinople, les ambassadeurs insistaient avec menaces pour que Dulcigno fût remise aux Monténégrins ; l’Angleterre proposait l’occupation du port de Smyrne. Le Sultan prit peur et céda (9 octobre 1880) ; un commissaire ottoman fut envoyé sur les lieux avec quelques bataillons. Les Albanais ne résistèrent pas : à Dulcigno, ils se sentaient loin de leurs montagnes, exposés au canon du large ; ils se retirèrent, et, après un court combat, les Dulcignotes se soumirent ; les Turcs entrèrent dans la ville qu’ils remirent aux Monténégrins (26 novembre). Ainsi, deux ans durant, la ténacité des Albanais avait tenu en échec l’Europe, et finalement, elle lui imposait une importante modification au texte solennellement adopté par le Congrès de Berlin.

Durant la crise de 1879-1880, les Albanais prirent conscience de leur unité et de leur solidarité nationale en face du péril extérieur. Le souvenir de la Ligue domine l’histoire contemporaine de l’Albanie ; c’est un exemple qui serait suivi le jour où, de nouveau, la conscience d’un péril commun viendrait émouvoir les montagnards. Dans la Ligue, les tribus entraient sans distinction de religion. « Dieu a fait les nations avant les religions, » disait, en 1892, une proclamation adressée par les Valaques du Pinde aux Albanais : la Ligue de 1879 en avait été une première démonstration par les Albanais eux-mêmes. Depuis le temps de Scanderbeg, qui, lui aussi, fut le chef d’une ligue albanaise, pareil événement ne s’était pas produit.

Le conflit de nationalités qui, depuis 1902, a mis aux prises, sous les yeux des Albanais, et souvent à leur profit, les divers élémens de la population macédonienne, a contribué à développer chez eux le sentiment de leur unité nationale. Le mouvement valaque roumanisant, suscité, parmi les Valaques du Pinde, par Apostol Margarit, avec les subsides du gouvernement roumain, trouva un appui dans l’élément albanais. Plus cultivés, plus informés de la politique européenne, les Valaques roumanisans devinrent, pour les Albanais, au milieu desquels ils mènent, dans les montagnes, la même vie pastorale et agricole, des initiateurs, des guides ; on parla de « la nation albano-valaque, » héritière des antiques Pélasges ; on fraternisa dans la haine de l’hellénisme et du slavisme, et dans la fidélité au Sultan de Constantinople. Ce fut sous cette influence que les