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simpliste des Arnaoutes. Tandis qu’à Salonique et à Constantinople, le Comité U. et P. proclamait qu’il n’y avait plus, dans l’Empire, ni Turcs, ni Bulgares, ni Arméniens, ni Albanais, ni musulmans, ni chrétiens, mais seulement des citoyens ottomans, fidèles au Sultan et à la Constitution, libres et égaux en droits, à Tirana et à Elbassan, des réunions nationalistes proclamaient que l’albanais devait être la langue officielle de l’Albanie, réclamaient l’ouverture d’écoles albanaises et distribuaient des livres en langue albanaise imprimés à Sofia. En novembre, sur l’invitation du club albanais de Salonique, des délégués des Albanais musulmans et chrétiens des vilayets de Salonique, Monastir, Kossovo et Janina se réunissaient en congrès à Monastir pour y discuter l’adoption d’un alphabet albanais. Deux opinions s’y trouvèrent en présence : les uns préconisant le maintien de l’alphabet latin déjà en usage et les autres demandant l’adoption de l’alphabet turc. La réunion se prononça pour l’alphabet latin, les caractères turcs étant insuffisans pour rendre certains sons albanais. Depuis lors, Midhat bey, directeur des affaires politiques du vilayet de Salonique et neveu du célèbre lexicographe et écrivain Samy bey Fracheri, publie un journal et une revue en langue albanaise imprimés en caractères latins.

A Scutari, à la nouvelle de la proclamation de la Constitution, des bandes de montagnards descendirent dans la ville, tirant des coups de fusil en l’air, criblant de balles les cheminées ; pendant vingt jours dura cette inquiétante saturnale ; les balles, par miracle, ne blessèrent, par ricochet, qu’une seule personne. Seuls, dans l’allégresse générale, les Mirdites s’abstinrent : ils attendaient le retour de leur prince. On régla toutes les « questions de sang ; » une « bessa » générale fut proclamée. Mais, le 26 août, un incident survint : dans un meeting, le capitaine jeune-turc Kiazim bey ayant dit que tous les raïas étaient désormais des Ottomans, un publiciste albanais musulman nationaliste, Dervish-Hima, l’interrompit : « Les Albanais, s’écria-t-il, ne sont qu’Albanais et ils ne seront satisfaits que quand ils seront libres dans l’Albanie libre, au milieu de la confédération des Etals balkaniques indépendans sous la suzeraineté du Sultan ! » Le lendemain, les autorités firent arrêter l’imprudent ; les musulmans scutarins, l’accusant de connivence avec l’Autriche, Mgr Docchi et le clergé, demandaient sa tête ; il fallut le faire conduire à Salonique pour y être jugé loin de leurs fureurs.