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prospérité de la nation, pour le salut du chef et des membres qui la composent ?… La tristesse nous accable, et nous protestons devant Dieu, devant Celui qui nous jugera toutes, que, si l’on nous annonçait la mort, nous serions bien moins sensibles à cette nouvelle qu’à la crainte de la séparation funeste dont l’on nous menace.


A cet exposé déchirant succède cette adjuration suppliante :


De grâce, Messeigneurs, que notre triste situation touche vos unies. Plusieurs parmi nous ont plus de cinquante années de religion, d’autres quarante, trente, etc. Un grand nombre sont infirmes et n’ont de forces que ce que leur en donne le zèle d’une règle qu’elles aiment et qu’elles chérissent. Et où irons-nous donc ? où iront ces pauvres Carmélites qui ont vieilli sous le joug de la sainte religion ; que feront-elles dans ce monde dont elles ne savent plus ni les usages, ni les manières, ni le langage ? Ayez pitié de nos cheveux blancs, de nos infirmités, de notre sexe et de notre cruelle position. Nous nous jetons toutes à vos pieds, nous réclamons votre humanité, et nous vous invoquons avec confiance comme nos protecteurs et nos pères. Une fois assurées de passer le reste de nos jours dans notre sainte maison, sous les auspices de votre bonté, nous prierons sans cesse le ciel pour nos tendres bienfaiteurs et nous le conjurerons de bénir vos travaux. Nous sommes dans cette maison trente-sept. Chacune d’entre nous, Messeigneurs, voudrait, s’il était possible, en se prosternant à vos pieds et en les arrosant de ses larmes, intéresser votre sensibilité, vous exprimer la douleur profonde que lui cause la crainte de la destruction de sa maison.


Il fallait citer cette déclaration tout entière, tant elle est sincère, pénétrante, angoissée. D’un ton plus calme, mais avec une conviction égale, les Carmélites de Reims disent à l’Assemblée nationale : « Nous sommes heureuses et contentes autant qu’on peut l’être sur la terre. Il n’en est aucune parmi nous qui ne se félicite tous les jours d’avoir consommé son sacrifice. S’il le fallait, toutes le recommenceraient avec plus d’empressement que la première fois, parce qu’elles connaissent par leur propre expérience combien le joug du Seigneur est doux. » Leurs pensées célestes ne les empêchent pas de prier pour les représentans de la nation, afin, disent-elles, que « leurs travaux tournent au vrai bonheur de la France. » Les Carmélites de Salins ont dans leurs paroles un accent encore plus moderne, et qui devait plaire à la Constituante. Leur désintéressement et leurs aumônes nous font espérer, écrivent-elles à Treilhard, « que l’auguste Assemblée nous accordera le bonheur de vivre et de mourir dans notre chère solitude. Et puisque son but est de rendre l’humanité