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lieu semble avoir eu, sur la formation et le premier développement de la classe bourgeoise, la même influence, toutes proportions gardées et, en tout cas, une influence dans le même sens que la concentration de la grande industrie mécanique dans l’usine et des ouvriers autour de l’usine. Au demeurant, quelles que soient les différences dans l’organisation intérieure du métier comme dans les relations privées qui en résultaient entre maître et valet, l’ancien régime du travail et son nouveau régime présentent, quant aux manifestations de leur vie extérieure et en quelque sorte publique, beaucoup plus de traits de ressemblance ou beaucoup moins de traits de dissemblance qu’on ne le penserait tout d’abord. Bien des choses, bonnes ou mauvaises, que nous croyons toutes nouvelles, réservées à nos jours et impossibles en d’autres, n’ont pas été ignorées de nos pères, ni même de nos grands-pères et arrière-grands-pères. L’ancien régime du travail a connu ces secousses, ces troubles qui paraissent à certains (et quoiqu’ils en souffrent, cependant ils s’en vanteraient presque) être le fâcheux privilège du nôtre : coalitions, violences, grèves, parfois essais ou menaces de grèves que nous qualifierions aujourd’hui de « générales. » Non pas, sans doute, au même degré que nous, mais il n’y a point échappé. Il a connu quelques-uns de nos « derniers cris : » la réglementation de la veillée, la « semaine anglaise, » avant la lettre, la mobilité, le déracinement de la population ouvrière, les longs chômages[1], la fixation d’une espèce de salaire minimum par corporation, la responsabilité du patron pour les contraventions professionnelles de l’ouvrier. C’est une question de mesure, et une question de date. Il est en vérité trop simple de faire un « bloc » de l’ancien régime du travail et de l’opposer an nouveau, comme un âge d’or à un âge de fer. Le caractère principal ou fondamental, la « caractéristique » universellement admise de ce régime ancien, c’est la corporation, mais là non plus il n’y a pas de bloc, là encore il faut distinguer. Car, 1° la corporation n’a jamais couvert tout le territoire ni embrassé tous les métiers ; il est toujours resté, en dehors d’elle, des villes libres et des métiers libres ; dans les villes à jurandes elles-mêmes, des métiers qui n’étaient pas jurés ; 2° la corporation ne s’est pas conservée la même d’âge en âge, à travers les

  1. G. Fagniez, ouvr, cité, p. 82-83, 85, 86.