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D’autres obtiendront seuls le prix de vos combats :
Le peuple émerveillé, les routes pavoisées,
La patrie en émoi, vous ne les verrez pas,

O braves endormis sur vos armes brisées,
Fronts sanglans recouverts par le jeune gazon,
Pleurés chaque matin par les blanches rosées !

Et vous dont le génie éclaire l’horizon,
Navigateurs luttant contre flots, vents et nues,
Pour agrandir un peu notre étroite prison,

Vous dont la mer cruelle aux rives inconnues,
But de vos longs efforts, a jeté sans honneur
Les vaisseaux éventres et les dépouilles nues ;

Vous tous que le destin a frustrés du bonheur
Pour lequel vous aviez immolé votre vie :
Vous qui vous consumez dans un ingrat labeur,

Qui tombez épuisés et l’âme inassouvie,
Laissant sur le chemin pour ceux qui vous suivront
Le fruit de vos travaux, l’objet de votre envie ;

Sages à la parole ardente, au regard prompt,
Qui réveilliez le peuple assoupi dans les fêtes,
Et qu’ont récompensés plus d’un sanglant affront !

Nobles héros brisés par d’injustes défaites,
Voyans qui, dans la nuit étouffant vos sanglots,
Criiez : Le jour va poindre !… On vous raillait, prophètes,

Veilleurs qui signaliez le phare aux matelots :
A l’heure dite, elle a paru, l’aube annoncée,
Mais son premier rayon a lui sur vos yeux clos.

J’écoute vos soupirs, vous hantez ma pensée,
Humbles martyrs dont nul n’a sondé les douleurs,
Dont la foi généreuse en vain s’est dépensée ;