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« philosophique, » de Mme Geoffrin à Varsovie qui n’ait finalement échoué, — la bonne dame n’ayant point réussi à obtenir, des sujets de son auguste « fils, » qu’ils s’accordassent pour « extirper la plus horrible superstition, » ainsi que l’avait recommandé Voltaire en propres paroles[1]. Mais, à l’inverse de ces faux « philosophes » qu’étaient une Catherine ou un Frédéric, n’encourageant la lutte contre la « superstition » qu’en dehors des limites de leurs territoires, le pauvre Stanislas s’était livré tout entier aux doctrines recueillies jadis dans le salon de la rue Saint-Honoré, et les avait sincèrement admises au plus secret de son cœur. Ce n’était point par simple concession à la mode qu’il avait installé, à la place d’honneur de son cabinet, un buste de Voltaire, sur le socle duquel il avait fait graver ces trois vers ingénus :


Depuis que j’ai écrit,
On lit, on vit,
Et l’on tolère davantage.


Si bien que le pauvre roi, en effet, « lisait » et « tolérait » plus que ne l’avaient fait ses prédécesseurs ; et s’il ne « vivait » pas plus pleinement qu’eux, du moins était-il plus attaché à la vie et se rendait-il mieux compte de ses raisons de vivre. L’horreur et la crainte du « fanatisme, » qu’il professait en toute occasion, avaient inconsciemment détruit, dans son âme, l’une des plus précieuses vertus de sa race : la préférence accordée à l’honneur sur tout le reste des choses, y compris la vie même. Cette différence nous apparaît très éloquemment dans la comparaison de Stanislas-Auguste Poniatowski et de son neveu Joseph, le héros des campagnes napoléoniennes, qui n’était qu’un soldat, et avait conservé intactes les « superstitions » séculaires de l’âme polonaise. Et c’est parce qu’il ne croyait plus ni à la religion de l’honneur, ni à aucune autre, c’est parce qu’il avait appris à apprécier par-dessus tout l’importance d’une vie éminemment limitée et mortelle, que cet homme de nature généreuse, ne manquant point de courage devant le danger, a pu s’abaisser à l’un des actes les plus lâches de toute l’histoire : au moment où la Pologne, enfin régénérée et unie pour la défense de ses libertés, comptait sur lui pour la conduire au triomphe suprême heureusement préparé par les exploits merveilleux de son neveu Joseph et de Kosciusko, il l’a soudain reniée et vendue, en adhérant au programme d’une

  1. On trouvera un très fidèle et pittoresque récit du voyage à Varsovie de Mme Geoffrin dans l’ouvrage excellent du marquis de Ségur : le Royaume de la rue Saint-Honoré (librairie Calmann-Lévy, p. 242 et suiv.).