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dans le régime corporatif ne dépend du régime monarchique, ni rien d’essentiel dans le régime monarchique, du régime corporatif. Ils se développent sur deux plans qui peuvent être voisins et même contigus par endroits, mais qui demeurent différens. La corporation a vécu avec l’Etat monarchique et l’Etat monarchique avec la corporation ainsi que la corporation eût vécu avec tout autre régime et tout autre régime avec elle, comme ils ont pu. Ils ont fait à eux deux un ménage ordinaire, un ménage médiocre, qui n’ignore ni les brouilles, ni les raccommodemens. Durant les six siècles de leur vie commune, du XIIe siècle au XVIIIe, on peut distinguer trois périodes : 1° du XIIIe siècle à la fin du XVe ; 2° de la fin du XVe siècle (du règne de Louis XI) à l’ordonnance de 1581 ; 3° de l’ordonnance de 1581 à l’édit de Turgot et à l’abolition des corporations. La belle époque, l’âge d’or, et, pour suivre la comparaison, la « lune de miel » de l’union entre la corporation et le régime monarchique, — encore y est-elle parfois voilée de quelques nuages, — c’est le XIIIe siècle, c’est le commencement de la première période, c’est le temps où Etienne Boileau codifie, sur l’ordre ou l’invitation du Roi, les statuts des métiers parisiens (1261-1271). Dès les toutes premières années du XIVe siècle, les choses se gâtent. Voici, en 1306, un conflit envenimé. « L’émeute qui éclata cette année-là fut l’œuvre de la population ouvrière et marchande. Les propriétaires voulurent être payés de leurs loyers en bonne monnaie ; cette prétention légitime n’en irrita pas moins les petits locataires qui voyaient tripler brusquement les loyers qu’ils payaient depuis onze ans. Des gens du peuple, foulons, tisserands, taverniers et autres, envahirent la maison de campagne d’Etienne Barbète, voyer de Paris et maître de la Monnaie, la brûlèrent, saccagèrent le jardin, enfoncèrent les portes de son hôtel de la rue Saint-Martin, mirent le mobilier en pièces, enfin poussèrent l’audace jusqu’à bloquer le Roi dans le Temple[1]. » Il est vrai que Philippe le Bel eut le courage de recourir et la constance de s’en tenir à « la manière forte. » Il fit pendre vingt-huit des meneurs, disent les uns ; quatre-vingts, disent les autres ; et il en est même qui disent : un maître de chaque métier. Mais il fit plus ; je veux dire quelque chose de plus grande conséquence pour les déductions que nous en pourrons tirer. Soit à la suite

  1. Fagniez, ouvr. cité, p. 51.