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Vous êtes les gardiens de la paix dans une république de liberté et de progrès social. Votre mission même s’élargit, car vous collaborez avec ceux qui veulent plus de bien-être. Sans la police, en effet, pas de liberté. Le progrès ne se réalise ni dans le désordre, ni dans la violence, mais dans le calme et la sécurité. » Les gardiens de la paix n’avaient pas encore été à pareille fête ; ils apprenaient sur eux-mêmes des choses auxquelles ils n’avaient jamais pensé ; ils se sentaient les ouvriers du progrès social ; la langue dorée de M. le Président du Conseil s’employait à les élever très haut à leurs propres yeux. Tout cela, pourtant, n’était qu’un exorde par insinuation, et M. Briand avait encore autre chose à dire à ses agens. « Aujourd’hui, leur a-t-il dit, toutes les catégories de citoyens s’organisent, s’unissent pour affirmer leurs revendications, pour les faire triompher… Vous avez des droits comme tous les citoyens et vous voulez en user. Vous êtes aussi des fonctionnaires. D’autres fonctionnaires se groupent, s’associent pour affirmer leurs desiderata et les faire réussir. Il y a tout de même entre les citoyens entièrement libres et les fonctionnaires une petite différence. Quand il n’y a que sa personnalité en jeu, le citoyen a droit à toute la liberté : l’abus qu’il en fait ne porte préjudice qu’à lui-même. Mais quand à cette personnalité vient s’adjoindre une autorité spéciale qu’il tient de la nation, il n’a plus le droit de faire les mêmes gestes ; il est tenu à plus de tact, de mesure, de discrétion dans l’usage de ses droits. S’il commet un abus, il porte atteinte à la dignité de sa fonction et à son intérêt particulier. S’il ne comprend pas cela, il n’est pas un bon fonctionnaire, il n’est pas digne de la confiance que la nation a mise en lui. Votre situation est encore plus délicate : vous êtes fonctionnaires et soldats. Il y a pour vous une nécessité de discipline sans laquelle vous perdez votre autorité et la sympathie de la population… » Voilà, évidemment, ce que M. Briand tenait surtout à faire entendre aux gardiens de la paix ; il y a mis beaucoup de précautions et de ménagemens ; il a terminé par de vagues promesses : on améliorera la situation de ces utiles serviteurs ; on se montrera généreux pour eux dans toute la mesure où le budget le permettra ; on leur demande seulement un peu de patience. Ils ont fort applaudi : reste à savoir ce qu’ils feront demain. S’ils lisent les journaux, comme tout le monde, ils savent ce que M. le Président du Conseil lui-même pense des paroles qui ne sont pas suivies par des actes, et ce sont des actes qu’ils attendent. Consentiront-ils à les attendre longtemps ?

Nous avons fait une longue citation du discours de M. Briand, parce qu’il est typique : il montre l’attitude adoptée par le gouvernement à