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George, ayant noté tous ces symptômes l’un des premiers, changea à la fois de programme et de procédés. Lorsqu’on discuta l’agricultural rating bill, qui avait pour objet de régler d’une façon un peu plus équitable les charges dont était accablée, en certains cas, la propriété foncière, tandis que, dans d’autres, elle échappait presque entièrement à l’impôt, M. Lloyd George se distingua par son assiduité, par sa profonde connaissance du sujet, par son zèle acharné à intervenir, et toujours à propos, dans les moindres détails de la loi. Harcourt lui dit : « Restez avec nous. Le nationalisme gallois est une chimère. Pourquoi vous cantonner dans un petit coin de la Chambre ? Pourquoi vous vouer à une thèse sans avenir ? Vous avez de plus hautes destinées devant vous ! » Il est impossible de faire à un homme politique ou à un homme de lettres un compliment qu’il ne se soit déjà adressé à lui-même ou de lui prédire des succès qu’il n’ait déjà escomptés. M. Lloyd George fut d’autant plus aisément convaincu qu’il était persuadé d’avance. Ce moment est décisif dans sa carrière. A partir de cette heure, il ne demandera plus au patriotisme gallois qu’une note émue pour un exorde ou une péroraison ; mais, en réalité, il sera l’homme du radicalisme non conformiste, le démocrate à tendances religieuses, le buveur d’eau qui renverse les coupes où pétille et mousse le Champagne, le partisan de la paix à outrance qui répète, sur un mode différent, la chanson de Bright et de Cobden : « Toutes les guerres sont mauvaises, excepté les guerres de légitime défense. »

On devine que, dès la première heure, M. Lloyd George fut un des plus énergiques à condamner la guerre du Transvaal, à la flétrir comme une guerre d’oppression et de conquête, comme un abus de la force commis par un grand peuple au détriment d’un petit. Ce thème lui inspira d’éloquentes variations, entre autres la phrase suivante : « J’étais assis, l’autre jour, près des restes d’un vieux château bâti par les Romains et je voyais des enfans jouer parmi les ruines. Je songeais : Rome est venue jusqu’ici pour imposer ses lois, sa civilisation, sa langue. Le colosse romain a disparu et l’humble nation qu’il était venu asservir de si loin lui survit encore. A quelques pas de là, dans une école, on enseignait la langue de Rome comme une langue morte, tandis que ces enfans qui jouaient autour de moi parlaient, de naissance et d’instinct, le vieil idiome des vaincus. »

Certes, M. Lloyd George avait raison de maudire les auteurs