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Après avoir défendu le terrain pied à pied et déployé, dans la discussion de la loi, le génie de l’obstruction, M. Lloyd George se voua, avec un zèle non moins grand, à en retarder et à en entraver l’application. Quelques traditionalistes, amoureux des beaux gestes historiques, parlaient de refuser l’impôt, comme Hampden, et d’aller, comme lui, en prison : « Non, non, cria M. Lloyd George, pas d’anachronismes ! La question scolaire, ainsi que toutes les autres questions sociales, doit être traitée et résolue par les moyens financiers. Le dernier mot restera à ceux qui tiennent les cordons de la bourse. » Or, en ce qui touche les écoles, « ceux qui tiennent les cordons de la bourse » ce sont les conseils de comté. M. Lloyd George leur traça un programme de résistance pratique qui consistait à couper les vivres aux écoles favorisées par le gouvernement. Aussitôt les tories bâclèrent une seconde loi qui liait les mains aux conseils en ce qui touchait la répartition des fonds. « Très bien, dit M. Lloyd George ; ne votez plus un sou ! Laissez au gouvernement la charge entière des écoles. — Mais si le gouvernement ferme les écoles et suspend l’enseignement primaire, que ferons-nous ? — Nous ferons des écoles de nos chapelles et des maîtres d’école de nos ministres. » Les choses en étaient là lorsque le ministère tory se retira, avant d’avoir été vaincu au scrutin, et laissa la place libre à ses adversaires. On sait que les élections générales se firent principalement sur la question de la réforme douanière, soulevée par M. Chamberlain. On sait aussi quelle énorme majorité confirma l’accession au pouvoir des radicaux. Dès avant cette grande victoire électorale, M. Lloyd George était entré dans le Cabinet et personne n’en avait été surpris, ni parmi les libéraux, ni parmi leurs adversaires. Le rôle qu’il avait joué, la place qu’il avait tenue dans les parlemens successifs de 1895 et de 1900 faisaient de lui, sinon le chef du groupe non conformiste, du moins le principal orateur, la voix la plus éloquente et la mieux écoutée de cette démocratie religieuse qui donnait sa couleur, son accent, son unité, au moins apparente, à cette vague et informe majorité de janvier 1906, composée de tant d’élémens divers. Là était, si je puis dire, la majorité de la majorité. J’ai expliqué, dans un précédent article[1], comment, après deux siècles et demi, une vicissitude imprévue

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1908.