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pourquoi n’a-t-on pas cherché plus tôt le remède aux abus ? C’est, je pense, parce qu’il est très difficile de les supprimer sans ébranler le principe et que, dans la pratique, on a grand’peine à distinguer le propriétaire qu’on exploite et qu’on tracasse du propriétaire avide et injuste qui fait un mauvais usage de son droit. Non seulement on trouve dans la même catégorie des cas tout différens, mais le même cas est susceptible, bien souvent, de doux interprétations entièrement opposées. Lorsqu’une ligne de chemin de fer vient à traverser un coin de campagne désert, elle est un bienfait pour beaucoup ; elle peut être un dommage pour quelques-uns. Tout en plaçant le bien de tous au-dessus de l’intérêt particulier, n’admettra-t-on pas que le propriétaire a quelque droit d’apprécier lui-même son bénéfice ou sa perte ? Lorsque l’extension soudaine et imprévue d’une ville décuple la valeur de terrains improductifs, ou lorsque la découverte d’une mine dans un lieu sauvage, où toute culture est impossible, vient enrichir le propriétaire, on s’irrite de ces gains énormes et scandaleux, mais on ne réfléchit pas que, dans bien des cas, ces plus-values compensent à peine les pertes subies pendant les longues années où la propriété n’a été qu’une charge pour le propriétaire. Le budget de M. Lloyd George, sans faire aucune des distinctions nécessaires, résolvait brutalement toutes ces questions si délicates, traitait les bénéfices comme autant de vols et aboutissait à quoi ? à prélever la part de l’Etat sur tous ces profits qu’il déclarait illégitimes. On a appelé le budget de M. Lloyd George un budget socialiste parce qu’il commence la démolition de la propriété individuelle, et un budget révolutionnaire parce qu’il viole la Constitution en introduisant, sous forme d’expédiens financiers, dans la législation anglaise, des mesures exclues du Statute Book par un vote négatif de la Chambre des pairs. On aurait pu ajouter que c’était un budget immoral et illogique.

L’été et le commencement de l’automne se sont passés à le discuter. Quel a été le résultat de cette longue discussion où le chancelier de l’Echiquier a été pris, plus d’une fois, en flagrant délit d’ignorance et où il a dû répondre souvent à des objections venues du côté où il siège ? A-t-il cédé quelque chose ? Non pas assurément, sur les principes et, quant aux détails, il s’est vanté d’avoir augmenté le rendement des impôts proposés de plusieurs centaines de mille livres, rien qu’en prenant au mot ses critiques et ses adversaires.