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L’art si profondément chrétien qui régnait en Italie depuis de longs siècles, cet art qui eut au moyen âge, avec Giotto et son école, une si extraordinaire floraison, et qui, plus tard, trouva encore dans les œuvres d’un Fra Angelico une de ses manifestations les plus hautes et les plus pures, cet art subit une première atteinte au cours du XVe siècle. Les conditions sociales particulièrement prospères de l’Italie, et surtout de la ville de Florence, furent la cause de cette première modification de ses formes traditionnelles : les Florentins sont heureux de vivre ; ils n’ont plus, comme dans les époques troublées du moyen âge, un impérieux besoin de chercher des consolations dans l’espérance d’une vie future ; la vie terrestre leur est douce, ils l’aiment, ils la regardent avec complaisance, et leur art consiste à dire cette beauté que leurs prédécesseurs ne semblaient pas avoir comprise et qu’ils croient découvrir. Cette joie, cette tendresse de leur cœur, leur permet d’exprimer avec un rare bonheur tout un côté de la pensée chrétienne et de mettre sur le visage des vierges et des anges une beauté céleste et les plus doux sourires : mais s’y enfermer était un peu trop restreindre le champ de la pensée religieuse et laisser tomber tout le côté de noblesse et d’austères vertus que les siècles précédens avaient exprimé avec tant de puissance ; c’était oublier cette part de souffrance qui est le fond de toute philosophie et de toute religion et qui tient la première place dans le christianisme.

Cette recherche de la beauté, chaque jour plus dominante dans les pensées des artistes, va d’une autre manière encore contribuer à affaiblir le sentiment religieux dans leurs œuvres. Les artistes tendent à oublier le sujet qu’ils doivent représenter pour s’intéresser surtout aux accessoires dont ils encombrent leurs compositions et qui ne tardent pas à s’imposer au regard comme s’ils étaient le motif principal. Le caractère chrétien n’est plus le caractère premier de leur art ; une idée nouvelle apparaît, le désir de représenter la vie moderne. Cette vie, ils l’introduisent par des moyens détournés dans toutes leurs œuvres. Depuis les fresques de la chapelle du palais Ricardi où Benozzo Gozzoli déroule le pompeux cortège des Médicis figurant les rois mages, jusqu’aux Chambres du Vatican où Raphaël donne les traits de Léon X au pape qui arrête Attila, partout nous voyons les peintres peupler de portraits leurs compositions religieuses ; et l’idée chrétienne tend à s’effacer de plus en plus ; l’union