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intime entre la forme et la pensée va s’affaiblissant sans cesse pour donner naissance à ces formes d’art qui furent si néfastes au moment de la pleine Renaissance.

Mais, malgré les reproches que l’on peut faire théoriquement à cet art, en se plaçant soit au point de vue de la pensée chrétienne, soit à celui d’une pure conception logique, il faut reconnaître qu’il fut de la plus séduisante beauté. Son illogisme fait en réalité la plus grande partie de son charme et de son intérêt, car il correspond à l’illogisme de cette époque si étrangement ballottée entre les idées les plus diverses ; il est bien l’image de ce siècle de transition où les idées anciennes viennent se heurter aux idées modernes et où l’on voit s’unir deux mondes qui ne tarderont pas à se combattre et à se séparer.

Au XVIe siècle apparaît une idée nouvelle qui va achever de transformer l’art : l’influence du paganisme, l’influence des lettres et des statues antiques. Les artistes italiens, déjà si amoureux de la beauté, étaient tout prêts à comprendre et à aimer l’antiquité ; ils vont se passionner de plus en plus pour les formes étudiées en elles-mêmes, dégagées de tout but expressif, tirant tout leur prix de leur charme et de leur harmonie. Par l’imitation de la statuaire antique, l’étude du nu se substitue à celle de la figure vêtue, et c’est en peuplant de nudités leurs scènes religieuses que les artistes donnèrent le dernier coup au sentiment chrétien et le firent disparaître presque totalement de l’art de la Renaissance


II. — IMPUISSANCE DES ANCIENNES ÉCOLES A RÉFORMER L’ART

Rome même, la capitale de la chrétienté, s’était laissé corrompre ; l’art antique qui était l’art de peuples guerriers, où la force tenait le premier rang, devait convenir tout spécialement à ces papes du XVIe siècle, qui vécurent au milieu des guerres, à cet Alexandre VI qui, un moment, a pu rêver de réunir toute l’Italie sous sa domination, et à ce Jules II qui, lui-même, en vrai général, dirigeait des armées. Tout ce siècle à Rome est rempli du fracas des armes. Partout, dans les œuvres des artistes, même dans les Chambres de Raphaël, luisent les éclairs des cuirasses et des épées. Ce sont des récits de bataille qui couvrent les murs du Vatican, et, sur la Tombe de Jules II, le Moïse de Michel-Ange est la plus brutale glorification de la force que l’art nous ait donnée.