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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/139

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confirmation des mains de Schleiermacher : l’épisode n’avait pas laissé d’empreinte sur son âme. De l’enseignement de ce penseur, il n’avait gardé d’autre doctrine qu’un « déisme tout nu, » et d’autre conclusion que l’inutilité de la prière. Ensuite, à lire les philosophes, à écouter les universitaires, il s’était convaincu du néant de la vie. Mais Dieu l’avait sauvé ; Dieu lui avait fait honte pour l’orgueil que lui inspirait la « pauvre lampe de sa pensée ; » Dieu l’avait mis en rapport, — c’était en 1842, — avec un cercle de mystiques poméraniens, les frères de Below, Thadden, Blanckenburg ; Dieu, tout près de lui, dans ce cercle même, avait dérobé à la terre, le 10 novembre 1846, une femme d’élite, Mme de Blanckenburg ; et le remords où il commençait de s’abîmer en voyant comment ces âmes vivaient l’avait envahi tout entier, et comme terrassé lorsqu’il avait vu disparaître l’une d’entre elles. Il s’était remis à prier, pour retrouver le courage de vivre. Il se considérait alors comme un paralytique destiné à trébucher, mais que retiendrait la grâce de Dieu, si Dieu le voulait ; il sentait que ne pas croire, ne pas prier, le condamnait à ne pas agir ; voulant vivre d’une vie qui valût la peine d’être vécue, il s’en allait vers Dieu, pour en obtenir la faveur, et il s’en allait vers Jeanne de Puttkamer qui aimait Dieu. Puttkamer et sa fille Jeanne lui firent accueil ; mais le victorieux fiancé demeurait encore un pénitent ; il y a tel de ses billets d’amour où sa contrition se faisait bavarde, pour avouer la soif de jouissance à laquelle trop longtemps il s’était abandonné ; et le chapitre 12 de la Lettre aux Romains lui servait à montrer à Jeanne combien l’homme est mauvais et pauvre de foi.

Rien d’artificiel dans ces austères épanchemens ; et l’on aurait tort de croire que les joies du mariage déridèrent la gravité de cette componction. Pendant plusieurs années encore, jusqu’au moment où la diplomatie l’absorba, Bismarck se complut à faire retour sur lui-même, à se proclamer humblement un élu de la grâce, à épier, au fond de sa conscience qu’il sentait à la fois très vilaine et très favorisée, le conflit du vieil homme et de l’homme nouveau. Un jour d’octobre 1850, il était en délicatesse avec sa belle-mère ; au lieu de s’ingénier à la mettre dans son tort, comme il fera plus tard lorsqu’il aura des difficultés avec quelque Etat de l’Europe, il lui écrivait très sincèrement, très sérieusement, sans l’ombre d’ironie : « En moi, l’homme de