Dieu t’aime profondément ; c’est l’esclave du diable qui te brusque. » Ainsi Bismarck apportait-il, jusque dans les moindres incidens de famille, l’esprit et le langage d’un pécheur qui s’amende, et qui craint de retomber.
Mais c’est en songeant à la vie future, à cette vie qu’elles ont failli perdre, que la plupart des âmes assagies prosternent devant Dieu leur gratitude, encore à demi inquiète ; Bismarck, lui, lorsqu’il se réjouissait de son repentir, songeait à sa vie présente, à sa vie de Prussien et d’Allemand : « Sans ma conversion, notait-il en 1851, je ne sais ce qui m’empêcherait de dépouiller ma vie comme une chemise sale. » Il allait vivre, être bon sujet de son Roi, parce que bon chrétien. Dans les cercles mystiques où son âme avait pour la première fois trouvé quelque fraîcheur, régnait un certain fatalisme, une certaine passivité quiétiste : Bismarck, qui retrouvait ce trait chez les Puttkamer, et, en particulier chez sa femme, luttait sans cesse contre cette disposition. Il aimait, au contraire, dans son christianisme, la source de sa force, la racine de son action ; et ce dont il savait gré, surtout, à la foi du Christ, c’était de le tenir en haleine pour sa besogne civique et politique : « Si je n’étais pas chrétien, disait-il à Ferrières durant la guerre de 1870, je ne resterais plus une heure à mon poste. Si je ne comptais pas sur mon Dieu, je ne sacrifierais certainement rien aux maîtres terrestres. Enlevez-moi cette foi, et vous m’enlevez la patrie. Enlevez-moi le contact avec Dieu, et je suis un homme qui demain fait ses malles et qui part pour Varzin… » Bismarck remerciait Dieu d’avoir la foi, parce qu’il y prenait l’élan pour bien servir l’Etat ; le Nouveau Testament qu’en 1870 sa femme lui expédiait en France lui donnait du cœur pour consommer la victoire de l’Allemagne sur l’« impiété française. » Ce croyant songeait moins au ciel qu’à la terre, et moins à l’Eglise triomphante qu’à l’Allemagne militante.
Dans une telle conscience, la notion de l’Eglise tient une place médiocre, presque nulle. Les mystiques poméraniens qui l’avaient ramené au Christ, vivaient et priaient, — pour eux, vivre, c’était prier, — en dehors de tout établissement ecclésiastique, et fort loin de ces pasteurs officiels que parfois ils qualifiaient de « prêtres de Baal ; » peu s’en fallait, même, que certaines de ces âmes ne se considérassent comme d’autant plus proches du Rédempteur qu’elles étaient plus boudeuses à l’endroit du protestantisme d’État. Indifférentes, par surcroît, aux discussions