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le gant à l’Église après avoir accablé la France. Cette conclusion se heurterait à trop de faits établis, que nous exposerons chacun eu son temps ; elle serait démentie, sans appel, par le récit des tâtonnemens où s’attarda Bismarck avant d’oser entreprendre le Culturkampf.

Quant au mot qu’il aurait dit au grand-duc de Bade, et que le prince Frédéric interpréta comme l’annonce d’une campagne prochaine contre les infaillibilistes, il serait tout aussi naturel d’y voir une réponse dilatoire de Bismarck. « Ce sera à voir après la guerre, » disait-il à ceux qui l’entretenaient de la question romaine, et c’était un moyen de les renvoyer ; il traita de même apparemment l’auguste gendre du roi Guillaume : « L’infaillibilité ? L’infaillibilité, on s’en occupera après la guerre. » Ainsi recevait-il toutes les sollicitations qui l’engageaient à prendre prématurément un parti. Le grand-duc racontait en 1873 au professeur Schulte, le canoniste vieux-catholique, qu’il avait, à Versailles, fait à Bismarck certaines propositions en vue d’une action effective contre les évêques infaillibilistes, et qu’elles n’avaient pas trouvé d’écho. Il ne serait pas absurde de supposer que Bismarck les avait accueillies par le propos dans lequel le prince impérial crut voir une promesse d’offensive, et qui, en fait, ajournait toute hostilité.

Quoi qu’il en soit, il serait assurément hasardeux, et probablement inexact, de conclure que le cerveau de Bismarck, en 1870, contenait un plan bien arrêté, bien fixé, d’offensive sectaire. Bismarck n’était pas un sectaire. Il put développer parfois, à l’appui de sa politique, certains principes qui sentaient l’esprit de secte, mais il les empruntait à ses alliés ; il parlait en avocat, sans se les être réellement assimilés. Il était hypnotisé, volontairement, par un horizon très prochain, très précis, très court : la Prusse, puis l’Allemagne. De politique religieuse, il n’en avait aucune, à proprement parler, sinon l’intention constante de traiter les affaires d’Eglise dans le sens qu’exigeaient, sur l’heure et pour l’instant, les intérêts de l’Etat. Ainsi considérés, Bismarck conduisant le Culturkampf et Bismarck l’aplanissant nous apparaîtront comme un seul et même homme : de 1872 à 1880, les intérêts de l’État auront changé.

« Je n’avais pas de système économique, dira-t-il le 23 février 1879, quand il passera du libre-échangisme au protectionnisme ; j’ai été fidèle à ceci : l’unification de l’Allemagne sous