l’hégémonie de la Prusse. Tout le reste est accessoire. » Il en sera de sa politique religieuse comme de sa politique économique : elle sera accessoire, ce qui voudra dire : subordonnée aux exigences changeantes de l’Etat. Il n’agissait point en haine de l’idée religieuse durant les années où il se comportait en auxiliaire politique de l’athéisme. Et lorsque sonnera l’heure des résipiscences, lorsque Guillaume s’effraiera des dommages causés par le Culturkampf à l’idée religieuse, Bismarck, personnellement, ne prendra qu’une médiocre part à ce genre d’inquiétude. Il sera tout-puissant, dans un temps où les questions philosophiques travaillent le monde ; et son habitude inconsciemment matérialiste d’envisager son métier d’homme d’Etat comme un calcul de forces lui cachera la portée profonde de ce Culturkampf même qui dans l’histoire demeure son œuvre.
Dans cette lutte seront finalement aux prises l’idéal chrétien, auquel sa conscience personnelle restera fidèle, et l’idéal « laïque, » que serviront ses manœuvres et ses actes politiques ; d’autres se seraient sentis écartelés ; mais nul ne fut plus indifférent que lui au rôle des idées pures dans la vie des peuples, nul n’eut plus de mal à y croire. De temps à autre, par occasion, nous dirions presque par feinte, il tiendra devant le Parlement le langage d’un doctrinaire, mais tous se rendront compte, finalement, qu’il ne voyait dans le Culturkampf, en réalité, qu’une partie politique ; et tous seront mécontens. Ses alliés sentiront à la longue son indifférence profonde pour leur idéal doctrinal, philosophique ou théologique ; ils constateront à la longue qu’entre la politique bismarckienne et leur action intellectuelle en faveur d’un État antiromain ou d’un État laïque, le parallélisme serait sans durée. Pour un Bismarck, le domaine de la politique et le domaine de la pensée sont absolument distincts : que certaine conception de la vie et du monde commande une certaine politique, et que ce soit dès lors changer d’idées que changer de politique, il semble qu’il ne s’en soit jamais douté. Chez ce prodigieux réaliste, infaillible jusque-là, l’histoire du Culturkampf atteste deux grandes lacunes. Il oublia, d’abord, que les idées, elles aussi, étaient des réalités ; et puis, cet humble élu du Dieu rédempteur ne paraît jamais avoir éprouvé de scrupules, dans une crise où non seulement les catholiques, mais beaucoup de ses anciens amis protestans lui signifiaient que les intérêts divins étaient en jeu.