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que le coup de force du 20 septembre était un attentat contre la chrétienté, contre le principe monarchique, et qu’il fallait intervenir. Nommé au siège de Posen, cinq ans plus tôt, par une entente directe entre Rome et Berlin, Ledochowski possédait la confiance du couple royal et s’en réjouissait : c’était presque un délit, pour beaucoup de ses diocésains polonais ; mais ils l’en absolvaient en raison de ses inépuisables charités. C’est à l’instigation de la reine Augusta qu’il venait entretenir Guillaume et Bismarck de la question romaine et leur confier ses émotions et ses désirs. Guillaume et Bismarck se fussent volontiers passés d’une telle visite, mais ils savaient que Ledochowski n’était pas intransigeant en ses pensées, ni brusque en ses propos ; et que jamais il ne se départait, en causant, de cette haute et discrète courtoisie qui, lorsqu’il le faut, sait se taire et qui toujours permet aux autres de garder à leur tour le silence. Après tout, disait Bismarck, pour se consoler à l’avance du temps qu’il allait perdre, « cela aura ses avantages, d’amener l’archevêque à se convaincre lui-même de ce qui est possible et impossible, et d’apprendre de lui ce qu’il croit possible. »

Ledochowski vit Guillaume, le prince royal et Bismarck. Il demanda si la Prusse protesterait contre le 20 septembre. « Comme protestant, répondit le Roi, je ne puis prendre une telle initiative : que les puissances catholiques commencent ! » Il questionna sur la possibilité d’un séjour du Pape en Allemagne : Guillaume était hostile, de peur de complications politiques. Hostile aussi, le prince royal : cette idée lui paraissait manquer de convenance (eine Ungehörigkeit). Bismarck, lui, fut exquis : il fit avec l’archevêque assaut de politesses, lui insinua que le Pape pouvait agir sur le clergé français en vue de la paix, abaissa lui-même le marchepied de la voiture épiscopale, et multiplia les salutations respectueuses.

Cette visite avait amusé Bismarck. Il donnait aux catholiques d’Allemagne une satisfaction platonique en recevant avec une telle déférence le porteur de leurs adresses ; il ajournait toute satisfaction effective en essayant d’engager le Pape, pour l’instant, dans une action pacificatrice. Quant à la situation papale, on aurait le temps d’en parler ; c’est par cette réponse dilatoire qu’il accueillait les suggestions de Bray, le ministre bavarois, au sujet d’une action collective des puissances. Il était fort en train le lendemain du jour où il avait reçu Ledochowski. L’idée