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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/166

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qu’à cette date même où le Saint-Siège avait à plusieurs reprises déplu à Bismarck, le chancelier de l’Empire se laissait aller encore, volontairement, systématiquement, à je ne sais quels souhaits d’amitié future avec la puissance papale. Dans la semaine même où il recevait Bonnechose, il disait dans son cercle :


Rien ne peut être plus sot que de me considérer comme un ennemi du Siège romain. Pour moi, le Pape est en première ligne une figure politique, et j’ai un respect inné pour toutes les forces et pour toutes les puissances réelles. Un homme qui dispose de la conscience de deux cents millions, d’hommes est pour moi un gros monarque, et je n’aurais pas le moindre ombrage, le cas échéant, à provoquer, dans des choses politiques, l’entremise du Pape et même son arbitrage…


Bismarck s’acheminait alors vers une brouille avec le Saint-Siège ; et déjà pourtant, à certaines heures, flottaient en sa pensée des rêves, singulièrement différens, qui devaient être réalisés sous Léon XIII, avec une exactitude frappante, par l’arbitrage du Pape dans l’affaire des Caroline ». Pie IX venait de lui refuser les complaisances politiques qu’il lui avait demandées ; mais sa déception, très profonde, ne le poussait pas, sur l’heure, à l’idée d’un duel avec la papauté.


Car, durant l’absence de Bismarck, un changement capital s’était produit dans l’équilibre parlementaire. Un parti puissant s’était formé, dont l’autonomie le choquait et dont le rayonnement l’offusquait : c’était le Centre. Cinquante-six membres de cette fraction faisaient à leur tour visite à Guillaume, à Versailles même, pour souhaiter de lui, comme un premier « acte de sagesse et de justice, » le rétablissement de ce pouvoir temporel que jadis Frédéric-Guillaume III, au congrès de Vienne, avait contribué à raffermir. Bismarck devinait que ces députés, à Berlin, devant la face du peuple allemand, tiendraient un jour le même langage que, sous les lambris de notre Versailles, ils tenaient à leur souverain. Il constatait que, dans le travail qui bientôt allait s’imposer pour l’organisation de L’Empire, le Contre interviendrait avec certains principes, certaines méthodes, certain idéal. Il augurait qu’entre sa puissance toute neuve et cette force toute neuve, des batailles risquaient de s’engager ; il y était prêt. Si ces batailles le mettaient en conflit avec la papauté elle-même, ce serait tant pis ; il avait pris l’impérieuse habitude de ne redouter aucun ennemi. Mais avant de diviser une nation